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à cet égard. Grâce du reste à la très belle reproduction que nous avons entre les mains, c’est une étude qui est maintenant devenue facile, et il est à souhaiter qu’elle tente quelque érudit. En attendant, chacun peut la poursuivre pour son compte, et s’instruire à bâtons rompus, en relisant Montaigne, et en notant quelques-unes de ses corrections.

On voit d’abord que, comme tous les vrais écrivains, Montaigne est un correcteur d’épreuves très minutieux : ponctuation, orthographe, heureuse disposition typographique, il a l’œil à tout, et il ne laisse rien au hasard. Ses instructions à son imprimeur, en tête du volume, sont d’une netteté, d’une précision qui ne laissent rien à désirer.

En ce qui concerne le style, il est bien curieux de voir l’écrivain de plus en plus épris des qualités de concision, de propriété, de simplicité, de vigueur expressive qui vont devenir l’idéal commun des classiques. Il fait la guerre aux pléonasmes, aux redondances d’expression, aux épithètes inutiles. Il avait écrit : « ayant eu à desdaing les larmes et les pleurs : » il corrige avec raison : « les larmes et les prières. » Dans la même phrase, il avait dit : « se rendre à la seule révérence et respect ; » il supprime : « et respect. » Ailleurs, il avait écrit : « la brasverie, la constance et la résolution ; » — « la brasverie et la constance, » se contente -t-il de dire en dernier heu. Ailleurs enfin, il avait dit : « de se laisser aller à la compassion et à la pitié… ; » il se corrige de la manière suivante : « de rompre son cœur à la commisération… »

Quant aux corrections qui intéressent la pensée ou le sentiment, elles sont innombrables, et j’aime mieux m’abstenir de les caractériser par une formule générale. J’en ai noté une qui m’a paru fort curieuse. Montaigne nous donne quelque part des détails assez scabreux sur les mésaventures qui attendent les amoureux trop empressés, et il ajoutait en 1588 : « accident qui ne m’est pas inconnu. » En se relisant, il a effacé cette confidence inutile et trop personnelle. Cet écrivain « qui a la bouche si effrontée, » comme il nous le déclare lui-même, aurait-il appris un peu la pudeur en vieillissant ?

.Je m’arrête ; je n’ai pas même voulu effleurer un sujet, dont il me suffit d’avoir fait pressentir l’intérêt. Après le manuscrit des Pensées de Pascal, le manuscrit partiel des Essais de Montaigne. Il y a encore un manuscrit d’une grande œuvre classique que nous voudrions bien pouvoir étudier au coin de notre feu, sans être obligés d’aller le consulter à la Bibliothèque nationale : c’est celui des Sermons de Bossuet. Qui voudra nous donner le manuscrit des Sermons de Bossuet ?


VICTOR GIRAUD.