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dont l’étude paraît bien avoir séduit beaucoup plus vivement la curiosité de l’écrivain russe que celle du caractère et des actes de l’empereur Alexandre ! Mais sans doute M. Merejkovski me donnera bientôt l’occasion de revenir sur cette partie de son livre : car tout porte à supposer qu’un nouveau roman nous fera voir l’avortement pitoyable des diverses tentatives révolutionnaires inaugurées, à Saint-Pétersbourg et dans le sud de l’empire, pendant la dernière année du règne d’Alexandre ; et, en attendant, il faut que je signale encore l’attitude prise par le savant écrivain russe devant l’un des problèmes historiques les plus curieux qu’avait à lui offrir le sujet de son roman.


Ce problème est celui de la mort d’Alexandre Ier, et des rapports qui ont pu exister entre l’empereur officiellement décédé à Taganrog et le mystérieux ermite sibérien Fedor Kousmitch. On sait en effet, — M. Ernest Daudet nous le rappelait encore ici même tout récemment[1], — que plusieurs des biographes les plus autorisés d’Alexandre Ier ont cru pouvoir reconnaître la justesse historique de la légende suivant laquelle Alexandre 1er aurait fait enterrer à sa place un soldat qui venait de mourir à l’hôpital de Taganrog, et s’en serait allé lui-même mener, très longtemps encore, une vie solitaire et pieuse dans un recoin des forêts de la Sibérie. L’existence de cet ermite, en tout cas, ne saurait être contestée, non plus que l’évidente origine seigneuriale du soi-disant Fedor Kousmitch, ni la parfaite réalité des hommages que lui ont rendus, à diverses reprises, des visiteurs accourus vers lui des plus hautes sphères aristocratiques de la Russie. Et je ne serais pas surpris que M. Merejkovski, à son tour, eût éprouvé d’abord une certaine hésitation entre les deux « versions » opposées qui continuent aujourd’hui à partager les historiens russes. Ou plutôt j’inclinerais à penser que, d’abord, l’auteur du roman nouveau s’est proposé de suivre encore sur ce terrain son maître Tolstoï, qui nous a laissé, parmi ses fragmens posthumes, le début d’un très intéressant journal de l’empereur Alexandre, devenu désormais l’humble ermite Fedor Kousmitch. Car le fait est que, plus d’une fois, au cours de son récit, M. Merejkovski nous a fait entrevoir la silhouette fugitive d’un « vagabond » qui portait même nom, et qui présentait la particularité d’une ressemblance corporelle à peu près absolue avec l’Empereur : d’où nous conclurions volontiers que l’intention première de

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1913.