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mais bien plutôt l’appuya avec insistance sur les lèvres d’Alexandre. « Non, cet homme-là n’a pas besoin qu’on lui dise que l’Empereur n’aime pas voir ses sujets agenouillés devant lui ! Il serait d’humeur, plutôt, à exiger que l’Empereur s’agenouillât devant sa propre personne. » Cependant Photius considérait l’Empereur avec des yeux élargis d’épouvante : mais l’épouvante qu’il ressentait n’était pas celle de l’ordinaire des visiteurs d’Alexandre. L’archimandrite songeait qu’ici, autour de l’Empereur et peut-être aussi sur la personne même de l’Empereur, devaient loger des légions de diables bien plus nombreuses encore que celles de l’escalier.

— Asseyez-vous, je vous en prie, monseigneur !...

Alexandre bredouillait, la mine confuse : car il était peu familier avec la terminologie ecclésiastique, et ne savait pas au juste de quelle façon il convenait d’appeler un archimandrite. Sans compter que la langue russe, aussi, l’embarrassait, surtout lorsqu’il avait à traiter de sujets religieux : car toujours, d’habitude, il s’entretenait de ces sujets en français ou en anglais.

Photius s’assit, mais non pas sur la chaise que l’Empereur lui avait désignée tout près de soi. Il alla s’installer devant la fenêtre, à une certaine distance, et se mit à regarder gauchement les pieds de sa chaise.

— Je suis vraiment heureux de vous voir ! — reprit Alexandre, ne sachant trop comment engager la conversation. — Le prince Galitzine m’a beaucoup parlé de vous... Et puis aussi le comte Araktcheief ! — s’empressa-t-il d’ajouter, en se rappelant la haine féroce de Photius pour Galitzine. — Depuis longtemps déjà je voulais causer avec vous de la situation religieuse. Mais avant tout, je vous demanderai une chose : dites-moi seulement la pure vérité ! Si vous saviez, mon père, combien rarement j’ai l’occasion d’entendre la vérité, et combien j’aurais besoin de l’apprendre !... — poursuivit-il avec une émotion sincère.

— Bienveillant Empereur, Majesté Impériale !... commença Photius d’une voix solennelle, tâchant à réciter un discours qu’il avait préparé.

Mais soudain il s’arrêta, comme s’il avait tout oublié. Il essuya, d’un mouchoir grossier, la sueur qui lui coulait sur le front, fit un geste embarrassé de la main ; après quoi, relevant un peu le rebord de sa soutane, il tira du haut de l’une de ses lourdes bottes de paysan une liasse de feuillets couverts d’une écriture serrée.

— Tout est écrit là, absolument tout ! — balbutia-t-il précipitamment, avec un regard confus autour de soi. — Si tu veux tout savoir, Empereur, en ce cas, écoute-moi ! Tout se trouve écrit là-dessus bien exactement, d’après les livres saints !

Et il lut tout haut le titre : Un plan nouveau pour anéantir la Russie, et le moyen d’empêcher secrètement l’exécution de ce plan.

L’Empereur était un peu dur d’oreilles, et n’entendait qu’à moitié les paroles du moine. Sa pensée était, d’ailleurs, occupée d’autres sujets ; il se rappelait notamment ce que lui avait dit Galitzine du passé et du caractère de Photius.


Fils d’un pauvre sacristain de village, l’archimandrite avait eu une enfance misérable ; mais de très bonne heure son fanatisme