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REVUES ÉTRANGÈRES

UN ROMAN HISTORIQUE RUSSE


Alexandre Ier, par Dimitri Merejkovski, Saint-Pétersbourg et Munich, 1913.


Le soir du 11 mars 1824, — vingt-troisième anniversaire de la mort tragique de Paul Ier, — l’empereur Alexandre s’était enfermé dans son vaste cabinet du Palais d’Hiver, et tâchait à se divertir de ses soucis en relisant un de ces romans « champêtres » dont s’était autrefois nourrie sa jeune âme éprise d’idéal. Liodore et Julie, ou la Constance récompensée : c’était le titre du roman ; et Alexandre, maintenant encore, ne pouvait s’empêcher de goûter une émotion pleine de douceur à la lecture de passages tels que celui-ci :


— Combien magnifique est le spectacle du charme printanier de la nature ! — s’écria Julie, tendrement appuyée sur le bras de son Liodore.

— O sainte nature, — répondit Liodore, — c’est seulement dans ton temple que l’homme vertueux réussit à trouver le véritable bonheur ! Quant à moi, volontiers je serrerais affectueusement sur mon cœur mélancolique le monde entier, de la même façon que je te tiens embrassée, ô ma Julie !...


Mais bientôt l’attrait même du cher roman de naguère ne suffit plus à chasser les sombres images évoquées, dans la pensée d’Alexandre, par le souvenir de cette nuit tragique d’il y avait vingt-trois ans, où le meurtre de son père avait fait de lui le maître souverain de toutes les Russies. L’élève du républicain Laharpe n’avait d’abord accepté qu’à regret la lourde charge du pouvoir impérial ; et longtemps il s’était regardé comme expressément investi d’une mission providentielle, consistant à délivrer son peuple du joug détesté de l’autocratie. Hélas !