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Ainsi M. Poincaré fait à tous les spectateurs de cinématographes sa visite quotidienne. Ils le voient dans l’exercice de ses fonctions ; ils se familiarisent avec ses traits ; ils emportent dans leur mémoire son visage empreint de gravité souriante. Je ne doute pas que sa popularité déjà grande ne s’en accroisse. On n’aime bien les gens qu’à condition de les voir souvent : loin des yeux, loin du cœur. Le cinématographe est un moyen de rapprochement entre le premier magistrat dii pays et les citoyens français. C’est une sorte d’annexé populaire de l’Elysée. C’est, comme on dit, une institution nationale.

C’est aussi une entreprise théâtrale, et c’en est même, du point de vue où je l’envisage, le caractère le plus important. On fait des pièces spécialement pour cinématographes. Des auteurs s’y emploient exclusivement. Des artistes s’y sont fait une réputation. Plusieurs même parmi les auteurs dramatiques qui se sont fait applaudir sur de véritables scènes, n’ont pas dédaigné cette nouvelle manière d’ « écrire » pour le théâtre. Et tels de nos artistes, hommes et femmes, célèbres dans les théâtres où l’on cause, figurent volontiers sur ce théâtre où la consigne est de se taire. J’ai vu un certain nombre de ces pièces parmi lesquelles il en est de dramatiques et de comiques. Je n’aurai pas la mauvaise grâce d’en discuter les données, ni de les apprécier sous le rapport de la vraisemblance, de la logique ou de l’esprit. Sur tous ces points, je m’en rapporte au programme qui, uniformément, qualifie les unes d’ « intéressantes » et les autres de « fines. » Mais des représentations auxquelles j’ai assisté se dégage, à mon avis, une poétique ou une « pratique du théâtre » cinématographique, qui repose sur un principe simple et absolu. Je la livre aux méditations des spécialistes. En deux mots, la voici. Qu’y a-t-il eu de nouveau dans l’invention du cinématographe ? Ç’a été de reproduire le mouvement, par des procédés que je m’abstiendrai avec soin de décrire, car ils ne sont pas de ma compétence. Il se peut d’ailleurs que ce soit, dans l’ordre des applications scientifiques, une découverte fort curieuse, fort belle, et je ne demande pas mieux que de l’admirer. C’est par la reproduction du mouvement que le cinématographe diffère de l’ancienne et charmante lanterne magique. Le mouvement, c’est son triomphe et son essence. C’est son idiosyncrasie. L’art dramatique à destination du cinématographe doit donc être un art d’utiliser le mouvement pour en tirer des effets de surprise, de terreur ou de drôlerie. De là un moyen de définir avec précision les deux genres nouveaux qui viennent enrichir la galerie dramatique ; car nous avions