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intéressans. Il paraît que la consommation de pellicules cinématographiques sur la surface du globe atteint trois cent mille mètres par jour, c’est-à-dire plus de cent millions de mètres par an. Vous savez comme moi, et comme nous savons tous, que ces bandes pelliculaires servent à recevoir l’émulsion au gélatino-bromure destinée à être sensibilisée. On ne nous dit pas, et je le regrette, quel cube représentent toute cette émulsion et tout ce gélatino-bromure. Marseille et Lille ont chacune quarante cinémas : ainsi le Nord et le Midi rivalisent. Lyon en a davantage. A Paris on ne compte pas moins de deux cents établissemens que visitent le dimanche plus de cent mille personnes. Londres en a le double. Mais New-York arrive bon premier avec quatre cent soixante-dix cinématographes, dont quelques-uns contiennent plusieurs milliers de personnes. M. Daniel Bellet évalue à deux cent soixante-quinze millions de francs la recette globale des cinématographes américains. Rangoon, en Birmanie, n’a que deux cinémas ; mais Shangaï en a trois. Singapour et Bombay également. Telle est l’éloquence des chiffres.

Une vogue si énorme, si véritablement mondiale, et dont rien ne fait prévoir qu’elle risque de décliner, s’impose à l’attention. C’est un élément de la mentalité contemporaine que l’observateur ne saurait négliger. Nous sommes dans l’âge du cinématographe. Et cette colossale industrie étant voisine de celle du théâtre, il y a lieu pour le chroniqueur dramatique de rechercher quels peuvent être les effets de ce voisinage.

Pour avoir d’une représentation cinématographique une impression juste et suffisamment frappante, il est indispensable d’arriver un peu après que le spectacle a commencé. La salle qui s’ouvre devant vous est plongée dans une complète obscurité. Vous entrez dans le noir : armée d’une lanterne sourde, la tourière de cet empire de la nuit guide vers une place marquée d’avance vos pas incertains. Vous ne voyez rien, mais vous entendez la vague ritournelle d’un orchestre de barrière qu’accompagne en basse puissante un ronflement, dont vous ne vous expliquez pas la cause et l’origine. Vous vous asseyez, vos yeux s’écarquillent, et ce qu’ils perçoivent d’abord, sur l’écran lumineux dont la surface éclairée perce seule toute cette ombre, c’est un tremblement continu. Cela vibre, cela vacille, cela trépide, cela ne s’arrête pas de trembler. Encore un effort d’accommodation. Vous distinguez des formes, des formes singulières, formes d’objets et d’êtres animés, mais dont les proportions ne sont pas celles de la vision normale, les personnages du premier plan étant plus grands que nature,