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blissement d’un contrôle qui garantisse la stricte exécution et l’efficacité des réformes[1]. » Le 7 juin, le ministère impérial des Affaires étrangères russe a pris l’initiative, en présence de la situation de plus en plus précaire des provinces arméniennes, de proposer aux grandes Puissances de faire étudier par leurs ambassadeurs à Constantinople un projet de réformes qui aurait pour base, lui aussi, le programme de 1895 élargi et adapté à la situation actuelle. Les drogmans des six ambassades se réunissent périodiquement et examinent un texte rédigé par M. Mandelstam, premier drogman de l’ambassade de Russie. À l’heure où nous écrivons, une opposition se manifeste de la part de certaines Puissances, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie en particulier ; elles insistent pour que le projet turc de réformes générales soit adopté comme base du programme européen ; elles semblent redouter un accroissement trop exclusif de l’influence russe en Arménie. De cette opposition peuvent sortir de graves embarras pour l’Europe et un grand péril pour la Turquie. Ces réformes générales que la Porte ne manque jamais de mettre en avant, la diplomatie les connaît ; elle sait par expérience qu’elles ne cachent que la volonté de ne rien accorder aux désirs légitimes des populations et de tout centraliser entre les mains impuissantes des fonctionnaires et des bureaucrates turcs. L’expérience a été faite en Macédoine : on en sait le résultat. Ce ne sont pas les réformes demandées par les Arméniens, prévues d’ailleurs par l’Europe dans le memorandum de 1895, reprises enfin dans le projet russe actuel, qui risqueraient de provoquer une intervention militaire russe ; bien au contraire, cette intervention deviendrait inévitable si des réformes sérieuses et contrôlées n’étaient pas promptement décidées et réalisées en Arménie. La Russie attache un haut prix à ne pas se séparer de l’Europe, mais elle est résolue à aboutir, car elle ne peut échouer dans la tâche qu’elle a assumée sans perdre son prestige en Arménie et dans le Caucase. Le gouvernement turc sera bien avisé de ne pas lui fournir, par une résistance maladroite et finalement inutile, l’occasion qu’elle ne cherche pas, mais qu’elle se trouverait obligée de saisir, d’intervenir par la force en Arménie. La Russie a pris en mains la cause arménienne, et, d’autre part, les Arméniens, si la dernière tentative qu’ils font actuellement pour obte-

  1. Lettre de Boghos Nubar pacha à M. Clemenceau dans l’Homme libre du 21 juillet.