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pendant un siècle et que, grâce à ce long répit, ses héritiers naturels ont pu se mettre en mesure de se substituer à lui. N’obtînt-on, en Asie, que ce résultat, la tentative vaudrait encore la peine d’être faite ; mais les Turcs peuvent espérer un succès plus complet, dans ces vastes contrées où ils sont établis depuis plus longtemps, où la proportion des chrétiens est moins forte et les ambitions européennes plus éloignées. Le succès est au prix d’un changement radical de méthode ; s’ils n’apportent pas aux réformes un esprit tout nouveau, ils n’obtiendront même pas ces résultats boiteux qui, les rivalités européennes aidant, les ont aidés à se maintenir en Macédoine ; en Asie, si le succès n’est pas complet, la catastrophe sera prompte et totale. La méthode à suivre est facile à définir : elle est inscrite dans la constitution de 1876 remise en vigueur en 1908 : égalité des races et des confessions, décentralisation, autonomie administrative ; la difficulté commence dès qu’il s’agit des applications.

C’est une vieille tradition, un vieux « truc, » de la politique de la Porte, dès que l’Europe fait mine de demander des réformes, d’en accorder aussitôt de plus radicales, quitte à ne pas les exécuter. Nous ne pouvons croire que, dans le péril actuel, le gouvernement ottoman ait l’imprudence de recourir à de tels procédés, mais comment empêcherait-il les populations de le craindre alors que tous les précédens sont de nature à les mettre en défiance ? On parle de la division de l’Empire en six grandes régions : Europe, Anatolie, Arménie, Syrie, Mésopotamie, Arabie, où seraient envoyés autant d’inspecteurs généraux. Hilmi pacha serait nommé en Syrie avec pleins pouvoirs : ses capacités éprouvées sont propres à inspirer confiance ; mais la confiance ne se décrète pas, et l’état d’esprit des populations arabes est tel que tout ce qui vient de Constantinople leur paraît suspect. À la suite du congrès arabe de Paris, un émissaire du Comité Union et Progrès est venu s’aboucher avec les délégués ; il leur a promis tout ce qu’ils ont demandé, et même davantage. Des nouvelles récentes de Constantinople indiquaient que l’accord était conclu entre Talaat bey, au nom du Comité, et le président du Cercle de la Jeunesse arabe à Constantinople, Abd-el-Kerim-el-Khalil : les Arabes seraient assurés d’avoir toujours trois ministres, vingt sénateurs, cinq valis, dix mutessarifs, un certain nombre de fonctionnaires dans les ministères ; les fonctionnaires subalternes devraient être du pays, les hauts