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en contradiction avec leurs intérêts et leurs vues d’avenir. Un député anglais, M. Bryce, a, très justement, dans la séance du 8 mai dernier, caractérisé les intérêts allemands.

« Depuis la signature du traité de Berlin, a-t-il dit, les intérêts de l’Allemagne dans cette question ont complètement changé. Comme le prince de Bismarck le dit alors, la question d’Arménie était sans intérêt pour l’Allemagne. Maintenant, au contraire, elle est devenue du plus haut intérêt pour elle, car au cours des vingt dernières années, elle a élaboré et exécuté un grand projet de chemin de fer entre la mer de Marmara et le golfe Persique. Les intérêts de l’Allemagne, en ce qui concerne le chemin de fer, demandent que la sécurité de la vie et des biens règne dans les provinces traversées, faute de quoi il n’y aurait aucune chance d’y trouver les élémens d’un trafic local ou même général. Il y a donc toutes raisons de croire que le gouvernement allemand est aussi désireux qu’aucune autre des grandes puissances d’arriver au règlement de la question arménienne. »

L’Angleterre, pourvu qu’elle soit rassurée sur le golfe Persique et la mer Rouge, a aussi un puissant intérêt, — quand ce ne serait que pour ne pas heurter les musulmans de l’Inde, — à maintenir en Asie l’autorité du Sultan et à remettre à plus tard les projets qu’on lui prête, sans preuves d’ailleurs, de créer, sous sa tutelle, un Empire arabo-égyptien qui ramènerait au Caire ou à la Mecque l’ancien khalifat et mettrait le chef religieux de l’Islam sous la protection anglaise.

On peut donc espérer que la sagesse intéressée de l’Europe travaillera de toutes ses forces au maintien de l’Empire ottoman en Asie. Mais ce maintien est étroitement lié à une condition première indispensable : une politique de réformes qui donne satisfaction aux populations indigènes et particulièrement aux Arméniens et aux Arabes.

V

Réformes ! Depuis si longtemps que les diplomates en parlent et que les Turcs en promettent, à peine ose-t-on, sans rire, prononcer le mot. La ficelle, pour avoir trop servi, est usée. Et pourtant, nous faisions remarquer, dans notre précédent article sur la Liquidation de la Turquie d’Europe, que, grâce aux réformes, l’Empire ottoman s’est survécu à lui-même, en Europe,