Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/916

Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux pays ; et surtout il risquerait de nous mettre en compétition avec les Anglais, nos « amis, » peut-être même avec les Russes nos « alliés. » La Syrie protégée et occupée par la France risquerait de se trouver un jour étouffée entre un Empire allemand d’Anatolie, et un Empire anglais d’Égypte et d’Arabie. Les Anglais, les Russes, ont, avec les Allemands beaucoup d’intérêts rivaux en Mésopotamie, dans le golfe Persique. Qui dit rivalité, dit transactions possibles. L’Asie pourrait devenir, à notre détriment, si nous n’y prenons garde, un terrain d’entente et d’échanges entre nos « alliés » ou nos « amis » et l’Allemagne : l’entrevue de Potsdam, les récens accords anglo-allemands relatifs au chemin de fer de Bagdad, au Tigre et au golfe Persique sont, à ce point de vue, significatifs. Nous aurions pu, nous aussi, tirer quelque avantage de la politique de chemins de fer que les Allemands avaient si fort à cœur de mener à bien ; pour ne l’avoir pas fait, quand il en était temps, nous nous trouvons aujourd’hui désarmés en face de rivaux que nous n’avons su ni aider à propos, ni arrêter efficacement.

Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles la France est si fortement intéressée à la réorganisation de l’Empire ottoman en Asie. Heureusement, toutes les puissances partagent sa manière de voir. La Russie pourrait être tentée de chercher, dans les événemens de Thrace, l’occasion d’entrer en Arménie ; on est en droit d’espérer qu’elle ne le fera pas ; occupée en Mongolie et en Perse, elle n’a pas intérêt à s’engager dans les complications qu’une dislocation de la Turquie d’Asie ne manquerait pas de provoquer ; il sera d’ailleurs plus avantageux pour elle de garder de bonnes relations avec la Turquie et d’avoir, sur sa frontière du Caucase, une Arménie amie qui peu à peu, développera sa personnalité autonome et sa prospérité, plutôt que d’annexer quelques centaines de mille individus pour aller se heurter, au bord du golfe d’Alexandrette, aux intérêts allemands et aux susceptibilités anglaises. Par la force des choses, l’influence prépondérante, dans le massif arménien, ne peut être que celle de la Russie. Les Allemands ont un évident avantage à rendre plus fort l’Empire ottoman dont ils espèrent devenir les soutiens et qu’ils cherchent à suppléer dans la mise en valeur de ses ressources ; un débarquement, à Adana ou ailleurs, ne serait pour eux qu’un pis-aller, une résolution désespérée,