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de leurs efforts et analysé leur méthode. La guerre de Tripolitaine leur a fait perdre du terrain auprès des musulmans, et leurs progrès seraient peu considérables, s’ils ne profitaient des fautes de la politique française. En ce moment, leurs visées cherchent où se fixer, et, s’ils parvenaient à garder quelques-unes des îles de la mer Égée, c’est sans doute sur les côtes occidentales de l’Anatolie qu’ils chercheraient à prendre des hypothèques et à accroître leur influence.

L’enchevêtrement des intérêts européens en Syrie s’aggrave encore de la présence des Lieux-Saints dont la protection, on s’en souvient, a été entre la Russie et la France la cause première des malentendus qui ont abouti à la guerre de Crimée. La possession des Lieux-Saints sera toujours une grave question européenne et mondiale, et le maintien du gendarme turc apparaît encore aujourd’hui, comme au temps où Chateaubriand le constatait avec tristesse, le plus sûr moyen de prévenir la dispute sanglante des sectes chrétiennes sur le tombeau du Christ.

Il n’est pas certain, — comme nous le disions au début de ces pages, — que la dislocation de l’Empire ottoman puisse être évitée, mais il est évident qu’elle serait funeste aux intérêts de la France et qu’elle jetterait sa politique dans de graves embarras. Si une intervention européenne en Arménie, ou sur quelque point que ce soit de la Turquie d’Asie, donnait le signal de l’ébranlement définitif de l’Empire ottoman, ou si l’aveuglement du gouvernement turc l’empêchait d’accorder aux populations les satisfactions strictement indispensables pour les maintenir dans l’obéissance, et par conséquent précipitait la catastrophe redoutée, la France ne pourrait laisser à personne la charge d’assurer aux populations syriennes la liberté de se gouverner elles-mêmes, de les protéger et de les aider à développer les ressources de leur pays. Mais elle ne souhaite pas, loin de là, d’avoir à remplir ce devoir. Dans un partage de l’Asie ottomane, la France n’aurait que sa part, c’est-à-dire toute la Syrie, et encore peut-être aurait-elle quelque difficulté à la faire reconnaître telle qu’elle doit être ; mais elle perdrait, dans tout le reste de l’Asie occidentale, l’influence morale, génératrice d’avantages matériels, qu’elle doit à la prédominance de sa langue, à ses écoles, à son protectorat sur les catholiques. Un tel partage la rendrait voisine de l’Allemagne et ferait naître des difficultés nouvelles entre les