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graves se produiraient en Turquie d’Asie, où les Arabes, las d’attendre les réformes vainement promises par le gouvernement turc, voudraient les réclamer par la force, si la France ne parvenait pas à obtenir du Sultan les réformes nécessaires, les populations syriennes se tourneraient, en désespoir de cause, vers la Grande-Bretagne et remettraient leur sort entre ses mains. Il dépend de nous d’épargner une pareille faillite à notre politique orientale. Sir Edouard Grey, dans une déclaration solennellement faite à la Chambre des Communes, avec l’approbation de M. Asquith, a donné à M. Poincaré l’assurance que l’Angleterre n’avait « dans ces régions ni intention d’agir, ni desseins, ni aspirations politiques d’aucune sorte. » Nous en sommes convaincu ; mais il ne dépend pas d’elle de se dérober à certaines conséquences de sa présence en Égypte, conséquences que lord Kitchener ne cherche peut-être pas à atténuer. Quoiqu’il en soit, ce n’est qu’une défaillance de la politique française qui pourrait permettre à l’Angleterre d’établir sa suprématie en Syrie, et il faut espérer qu’une telle défaillance ne se produira pas.

Dans la zone de rayonnement du chemin de fer de Bagdad, c’est-à-dire dans la région d’Alep, en Palestine, où ils soutiennent avec une énergie et une générosité intéressées leurs missions catholiques ou protestantes, les Allemands travaillent activement à accroître leur influence ; ils réussissent à augmenter leurs propriétés, leurs entreprises ; ils n’ont pas jusqu’ici gagné la confiance des populations ; elles leur reprochent leur solidarité avec les Turcs et l’indiscrétion de leurs appétits de domination et de gain ; elles craindraient, en se confiant à eux, de se donner non des protecteurs, mais de maîtres plus préoccupés de vendre leurs produits et d’établir leurs colons que de favoriser le développement et la prospérité des populations indigènes. Il n’est pas jusqu’aux juifs de Palestine qui ne redoutent la dangereuse concurrence que leur ferait l’établissement des juifs allemands dans l’ancienne patrie de leurs ancêtres.

Très adroitement, les Italiens cherchent à gagner la clientèle catholique de la France et à se tailler dans l’Asie turque une sphère d’influence qui pût devenir, si l’occasion s’en présentait, une terre de colonisation. Nous avons déjà ici-même[1] parlé

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1907 et dans l’Europe et l’Empire ottoman, chap. VII, XI et XII.