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Parmi les jeunes gens, l’influence des divergences religieuses va peu à peu s’atténuant ; les questions politiques et nationales passent au premier plan. D’innombrables journaux en langue arabe et en français apparurent ; Beyrouth en compta un moment plus de cent et en a encore trente dont plusieurs quotidiens. De même qu’en France, aux approches de 1789, tous ceux qui croyaient avoir un remède à proposer pour le bien du pays écrivaient une brochure ; en Syrie on se mit à lancer des journaux éphémères qui servaient à répandre une idée et disparaissaient ensuite. Toute cette jeunesse est imprégnée de culture française, et ce sont des idées françaises qui, en quelque langue qu’elles soient écrites, fermentent dans les cerveaux syriens. Mirabeau est le héros préféré de ces orateurs qui rêvent une rénovation des esprits et des mœurs par la culture occidentale. La brillante imagination arabe aidant, quelques-uns s’élancent dans l’utopie et jusque dans l’anarchie ; la mémoire de Francisco Ferrer a ses dévots. Des femmes distinguées sont entrées dans le mouvement ; quelques-unes écrivent dans les journaux, publient des livres. L’une d’elles, empruntant presque le titre du beau roman de Gogol, a écrit les Âmes endormies où elle se propose de « désenchanter » les âmes de ses contemporaines[1]. Mais il n’entre pas dans notre cadre de faire ici un tableau de ce réveil du génie arabe qui a déjà dans l’histoire donné tant de preuves éclatantes de sa fécondité ; c’est du point de vue politique seulement que cette végétation un peu touffue, un peu désordonnée, mais très puissante, d’aspirations et de pensées nouvelles, nous intéresse ; elle révèle le profond travail interne qui ressuscite et renouvelle la nation arabe. Le mouvement a commencé, comme il était naturel, par les classes cultivées et riches ; mais il gagne déjà, avec la diffusion de l’instruction, la masse amorphe du peuple. L’idée d’ordre, d’organisation, fait des progrès parmi les Arabes ; elle est malheureusement souvent encore primée par l’appétit des jouissances, par le déchaînement des ambitions ; mais l’ambition des individus n’est-elle pas aussi, pour les sociétés, un puissant levier de progrès ?

Après la révolution de 1908, l’enthousiasme des Arabes attendait de la Turquie rénovée une politique de décentralisation

  1. Voyez La Syrie, par M. K. T. Khaïrallah (E. Leroux, 1912, in-8o.)