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tiens se sont développés les premiers ; les Musulmans ont suivi ; entre les deux religions, l’histoire n’a pas mis de sang ni de haines inexpiables ; leur rivalité n’est qu’une lutte pacifique pour la suprématie et pour les avantages du pouvoir. La bonne entente qui règne actuellement entre tous les Syriens, ne va pas sans jalousies secrètes et sans dissentimens latens, elle est assez forte cependant pour engendrer une action commune pour la conquête de l’autonomie ou des réformes. Le Liban catholique, avec son organisation particulière garantie par le statut que la France a dicté après son intervention militaire de 1860, avec son conseil général, ses nombreuses écoles, est la partie la plus développée de la Syrie ; de là rayonnent la lumière, les idées, les aspirations libérales. Beyrouth, la ville des écoles, le foyer du progrès et de la renaissance arabe, enclose dans le Liban dont elle ne fait cependant pas partie, doit surtout aux Libanais son essor et sa culture. Depuis le Liban, où les illettrés sont plus rares que dans certains grands pays d’Europe et où une élite d’hommes instruits selon les méthodes européennes seraient en mesure de participer au gouvernement de leur pays, jusqu’à ces tribus nomades qui vivent sous la tente dans le désert syrien et qui viennent tantôt s’approvisionner pacifiquement aux marchés de Damas ou d’Alep, tantôt piller les riches villages de la plaine, toutes les gradations se rencontrent ; bédouins et citadins n’ont ni les mêmes besoins, ni les mêmes aspirations ; les mêmes réformes, la même administration ne sauraient leur convenir ; ils ne peuvent participer également à la vie politique de la nation et de l’Empire.

Les écoles européennes, le va-et-vient de nombreux Syriens entre leur pays et l’Égypte, l’émigration aux États-Unis et le retour de plusieurs milliers de personnes chaque année, l’enrichissement général, avaient peu à peu fait germer et mûrir des aspirations nouvelles parmi les Arabes les plus instruits et préparé les esprits à des revendications nationales. La révolution de 1908 produisit dans toute la Syrie une commotion qui fit éclater les sentimens jusque-là comprimés. Dans les villes, des jeunes gens, s’improvisant orateurs, se mirent à haranguer les foules dans les cafés, aux balcons des hôtels, sur les places publiques, initiant le peuple à la vie politique, éveillant en lui l’esprit national. Il y eut, entre les Arabes des différentes régions et des différentes confessions, un élan de fraternité.