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l’Iran jusqu’à la Méditerranée et du massif arménien jusqu’à l’Océan Indien, l’Arabe est roi. Peuple du Prophète et peuple des Khalifes, dont l’origine se perd dans la nuit des temps bibliques, il méprise le Turc, soudard épais et grossier, incapable de civilisation, d’art, de poésie ; le Turc, pour prier, pour penser, pour chanter n’a pas d’autre langue que celle de l’Arabe. Celui-ci est fier du sang pur qui coule dans ses veines : c’est un noble ; il méprise le Turc d’aujourd’hui qui sort abâtardi des mélanges de sang du harem et qui n’a plus rien de commun avec les soldats d’Orkhan ou d’Othman ; l’Arabe lui obéit parce que, jusqu’ici, il avait la force, mais il le regarde comme un hôte de passage dans cette Asie où lui-même a été et aspire à redevenir un agent de civilisation. Le Turc et l’Arabe ne se comprennent pas ; il y a entre eux différence de sang, différence de culture, incompatibilité de nature. Mais, parmi les Arabes, les uns vivent encore par tribus dans les oasis du désert de Syrie ou de la péninsule arabique ; leurs mœurs, leur genre de vie, leurs migrations de nomades n’ont pas changé depuis Mahomet ; d’autres, dans les villes, sur la côte de Syrie, se sont fixés, sont devenus sédentaires ; la mer, porteuse de lumière, les a mis en contact avec les Européens ; ils se sont développés ; ils représentent aujourd’hui dans l’Empire un élément de progrès. Nous avons eu déjà l’occasion de parler ici de cette renaissance de la nation arabe qui a rendu à ce noble peuple la conscience de son unité et de sa force[1]. C’est en Syrie surtout que cette reviviscence a été remarquable. Le sentiment de l’unité de la race a été plus fort même que les divergences religieuses. Arabes chrétiens, catholiques ou orthodoxes, et Arabes musulmans cherchent à se mettre d’accord pour établir et pour faire triompher un programme commun de revendications nationales.

La Syrie, longue bande de terre de plus de 1 000 kilomètres de longueur du Nord au Sud sur 160 de longueur moyenne, est un lieu de passage, une route ; de tout temps elle a été en contact par mer avec l’Occident chrétien, par terre avec l’Égypte et l’Asie-Mineure ; les écoles primaires, secondaires et supérieures européennes, s’y sont multipliées et ont apporté aux Syriens, sur les ailes de la langue française, la civilisation occidentale ; elle s’est superposée à l’antique civilisation arabe. Les chré-

  1. Voyez notre article du 1er juillet 1906 et l’Europe et l’Empire ottoman, chap. VIII.