Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/905

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conserver à sa démarche un caractère privé, le commandant se rendit, toujours en grand uniforme, chez l’évêque arménien ; il lui promit la protection allemande et l’assura qu’en cas de péril il débarquerait des forces suffisantes pour garantir la sécurité des personnes et des biens. La question arménienne, qui naguère n’intéressait pas Bismarck, est aujourd’hui l’objet des préoccupations de la diplomatie allemande ; un bureau spécial a été créé à l’ambassade de Constantinople pour centraliser les renseignemens ; des agens allemands parcourent le pays, promettant aux populations la protection du grand Empire, vantant sa puissance et l’excellence de ses marchandises. On peut tenir pour assuré que, si la dislocation de l’Empire ottoman devenait inévitable, ou si quelque autre puissance donnait le branle aux convoitises européennes par l’occupation d’un point quelconque de la Turquie d’Asie, l’Allemagne prendrait immédiatement sa part qui serait celle du lion : c’est sur la Petite Arménie et la Mésopotamie, en suivant la ligne du chemin de fer de Bagdad, qu’elle jetterait son dévolu.

Ainsi se pose actuellement, devant la Turquie et devant l’Europe, la question arménienne ; elle risque à chaque minute de déchaîner les conséquences les plus dangereuses ; elle est grave par l’importance des intérêts européens qui s’y trouvent engagés, grave parce que, posée depuis longtemps, elle s’envenime chaque jour davantage, grave parce qu’il n’est pas certain que la réorganisation de l’Empire ottoman soit possible et durable, grave enfin parce qu’elle n’est pas isolée : à côté d’elle la question arabe se dresse ; il nous faut en dire un mot avant d’indiquer quels remèdes sont proposés et à quelles conditions le salut de la Turquie d’Asie nous paraît possible.

III

Le monde arabe, c’est la grande inconnue de l’Asie occidentale, la grande réserve de l’avenir ; selon qu’il y aura ou qu’il n’y aura pas accord entre les Turcs et les Arabes, l’Empire ottoman vivra ou périra. Les Arabes sont les maîtres de l’Asie occidentale ; ils dominent le golfe Persique et la mer Rouge, ils détiennent La Mecque et Médine, les villes saintes des Sunnites, et Kerbelah où les Chiites vénèrent la mémoire d’Ali et de ses fils ; ils sont maîtres du Tigre et de l’Euphrate. Du plateau de