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attachés en même temps que la paix de l’Europe ? Une intervention militaire russe en Arménie déterminerait, pour ainsi dire mécaniquement, l’intervention d’autres puissances et presque certainement la dislocation et le partage de la Turquie d’Asie.

Le traité d’alliance défensive du 4 juin 1818 qui plaçait l’Arménie sous la surveillance de l’Angleterre est encore en vigueur, mais l’Angleterre a cessé d’en pratiquer la politique ; l’occupation de l’Égypte et du golfe Persique d’une part, de l’autre sa réconciliation avec la Russie, ont reporté plus au Sud, en Arabie et sur le Tigre, ses grands intérêts ; c’est, — nous le verrons, — la question arabe qui intéresse surtout la diplomatie anglaise. Chypre reste encore une guérite d’où le factionnaire britannique surveille la descente russe vers la mer libre, mais, dans le golfe d’Alexandrette, à côté des intérêts de l’Angleterre, ont grandi ceux de l’Allemagne. Le chemin de fer de Bagdad n’est pas seulement une entreprise de l’industrie et de l’expansion économique allemandes, il tend à devenir le véhicule de la colonisation ; il a pour but de créer, sur son passage, des intérêts allemands et de préparer les relais de la marche du germanisme. Il suffit de lire la presse expansionniste allemande pour savoir que les plaines du vilayet d’Adana si fertiles, si bien appropriées aux cultures riches et notamment au coton, conviendraient à la colonisation allemande. Depuis longtemps l’Allemagne cherche l’occasion de prendre pied dans la Méditerranée ; la vente, par la compagnie française qui l’avait construite, de la ligne de Mersina à Adana à la compagnie allemande du Bagdad a donné aux intérêts économiques allemandes la prépondérance dans le golfe d’Alexandrette. On peut tenir pour certain que, si des troubles venaient à éclater dans l’Arménie méridionale, les marins allemands débarqueraient immédiatement pour maintenir l’ordre ; les soldats suivraient, une colonie allemande serait fondée. Un incident récent est, à ce point de vue, fort instructif. À la fin d’avril dernier, la population d’Adana et les consuls croyaient apercevoir les symptômes de troubles prochains ; on vit un jour débarquer en grand uniforme le commandant du croiseur Gœben qui alla avec une escorte faire visite au vali et lui signifier que, si des massacres se produisaient, les marins allemands viendraient aussitôt occuper la ville ; puis, malgré les observations et les prières du vali qui lui demandait au moins de