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moud Chefket est mort, déjà une nouvelle guerre a ensanglanté les Balkans ; le gouvernement turc est plus que jamais aux mains d’une oligarchie de politiciens et plus que jamais à la merci d’un coup d’État semblable à celui qui a ramené au pouvoir les hommes du Comité. La paix générale est à la merci d’un massacre qui peut à chaque instant se produire en Arménie et qui entraînerait presque fatalement une intervention européenne.

Un fait nouveau, dont les conséquences peuvent être immenses, s’est produit : la réconciliation des Arméniens et de la Russie. Elle est due à la sagesse et à la modération des Arméniens, et au sens politique de quelques hommes d’État russes. L’ambassadeur Tcharykof montra, dans ses rapports de Constantinople, que la question arménienne ne se présentait plus sous le même aspect qu’en 1894-1896 et qu’il était temps, pour la Russie, de revenir à la politique de San Stefano qui tendait à étendre la tutelle russe sur l’Arménie. En Transcaucasie, un nouveau gouverneur, le prince Vorontzoff-Dachkoff, cherchait à se concilier les sympathies du groupe arménien, rendait aux églises leurs biens confisqués pendant les troubles de 1906, rouvrait les écoles, autorisait la fondation de nombreuses sociétés, la publication de journaux et de livres en langue arménienne. Dans l’été de 1912, le Catholicos lui-même s’est rendu à Pétersbourg où il a été reçu avec grande distinction par le tsar qui lui a conféré la plus haute décoration russe. S’appuyer sur les 1 600 000 Arméniens qui vivent sous la loi du tsar pour gagner la confiance et les sympathies de la nation tout entière, s’en constituer les protecteurs par la diplomatie à Constantinople et, en cas d’absolue nécessité, par les armes en Arménie, par là devenir peu à peu les maîtres du haut plateau arménien qui domine à la fois le golfe d’Alexandrette, chemin de la mer libre, Trébizonde, chemin de Constantinople, et les sources de l’Euphrate et du Tigre, chemin de la Mésopotamie, tel pourrait être le dessein du cabinet de Pétersbourg. Recourir aux bons offices et, au besoin, à la protection effective de la Russie pour obtenir des réformes, tout en restant sujets de l’Empire ottoman ; en désespoir de cause, se jeter dans les bras du tsar pour y trouver, à défaut d’une complète liberté, la sécurité des personnes et des biens, tel semble être le plan des Arméniens. Et qui ne voit que tout l’avenir de l’Empire ottoman et son existence même y sont