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aux Arméniens comme l’aurore des temps meilleurs. Les massacres d’Adana, dans lesquels la complicité du Comité n’est pas douteuse, la confiscation du régime constitutionnel au profit de quelques hommes vinrent leur apprendre que leurs maux n’étaient pas finis. Kurdes et Circassiens restent armés, tandis que la police fait des perquisitions chez les Arméniens pour les empêcher de posséder un fusil. Les fugitifs, revenus après la proclamation de la constitution, ont trouvé les biens, dont ils possèdent les titres de propriété et pour lesquels ils paient des impôts, occupés par les Kurdes ; rien n’a été fait pour leur faire rendre justice. L’insécurité est partout ; le mouvement économique est presque nul. Il n’y a eu cependant, au cours de ces années difficiles, aucune tentative de révolte parmi les Arméniens ; ils attendaient patiemment la réalisation des promesses de sécurité et de liberté qui leur avaient été si souvent prodiguées, et quand la guerre éclata en octobre 1912, ils se comportèrent en loyaux sujets du Sultan. Une liberté relative de la tribune et de la presse leur a permis de reprendre, dans leur pays, l’œuvre de cohésion nationale, de renaissance linguistique et littéraire qu’ils poursuivent depuis longtemps. Les grands événemens qui viennent de s’accomplir les ont trouvés prêts à en profiter et résolus, tout en restant de loyaux sujets, à obtenir un sort meilleur. Les défaites des Turcs aggravèrent les impatiences des Arméniens et les colères des musulmans Kurdes et Circassiens ; des menaces multipliées, des assassinats isolés faisaient présager de nouvelles vêpres sanglantes. L’occasion était favorable et la nécessité d’agir urgente ; les chefs naturels de la nation prirent en mains la direction du mouvement des revendications arméniennes. Le Catholicos, chef suprême de la nation, envoya, pour le représenter en Europe, une délégation présidée par un Arménien illustre, Boghos Nubar pacha, fils du grand ministre qui gouverna longtemps l’Égypte et qui aimait à s’entendre appeler « le champion de la justice. »

À Constantinople, le Catholicos agit par l’intermédiaire du patriarche arménien et de l’Assemblée nationale. Ainsi, c’est l’organisation nationale officielle et non pas, comme en 1894, un comité révolutionnaire, qui parle au nom de la nation et demande des réformes ; elle n’a recours qu’aux moyens légaux : les lois de l’Empire et l’intervention diplomatique de l’Europe : elle a un programme modéré proposé par des hommes modérés.