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grande place dans l’histoire de l’Asie mineure, s’ils ont régné à Byzance et rempli les plus hautes charges à la Cour des Sultans, ils n’ont jamais, sauf à l’époque très courte de Tigrane-le-Grand, constitué un royaume indépendant : race patiente et tenace, industrieuse et « gaigneuse, » elle a traversé l’histoire, subi les invasions, les persécutions, les massacres, toujours vivace, jamais entamée, jamais libre non plus. N’ayant pas, depuis des temps très reculés, constitué un État indépendant, ce n’est pas, aujourd’hui encore, l’indépendance que demandent les Arméniens, c’est, sous l’autorité du Sultan, un gouvernement qui leur donne la sécurité, une bonne justice, une administration impartiale, en un mot, le moyen de vivre et de se développer économiquement et intellectuellement. Changer de maître est un remède toujours hasardeux auquel on ne se résout qu’à la dernière extrémité : mieux vaut améliorer que détruire. Le jour où il sera bien établi que les gendarmes se mettent décidément du côté des victimes, au lieu d’être du côté des meurtriers, une révolution aura été accomplie en Arménie, et, du même coup, l’Empire ottoman se trouvera consolidé.

Tout l’Empire turc a besoin de réformes et les réclame ; mais l’Arménie a quelque chose de plus, elle y a droit. En réalisant des réformes dans toutes les provinces, la Sublime Porte fera un acte politique ; en les accordant à l’Arménie, elle fera un acte de justice et tiendra ses engagemens.

La promesse d’accorder des réformes à l’Arménie est inscrite dans les traités, elle est contresignée par toute l’Europe, elle fait partie intégrante du droit public. Parmi les puissances qui prirent en main la cause des Arméniens, la France est la première en date. Napoléon III, en 1867, fait pression sur le sultan Abd-ul-Aziz et le menace d’une intervention française s’il envoie une armée pour écraser les gens du Zeïtoun, les plus braves et les plus belliqueux des Arméniens, qui s’étaient insurgés ; il fut convenu, à la suite de cette intervention, que le Zeïtoun aurait toujours un gouverneur chrétien ; les Jeunes-Turcs les premiers ont, depuis la révolution, manqué à cette promesse. Après que la Russie, profitant de la guerre franco-allemande, se fut affranchie de certaines clauses du traité de Paris, les inquiétudes anglaises s’éveillèrent. Dès lors le Foreign Office surveille de près les affaires d’Arménie et le golfe d’Alexandrette, où il redoute que la Russie ne vienne chercher cette mer libre