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orientaux, le cadre et la sauvegarde de leur nationalité : le chef religieux est en même temps un chef politique ; il est, au sens plein de l’expression, le conducteur d’hommes, le pasteur du troupeau. C’est un fait capital que le chef de la nation arménienne soit, de par sa résidence, sujet du Tsar de Russie. La population arménienne est particulièrement dense, en Turquie, dans le vilayet d’Erzeroum, dans la partie septentrionale des vilayets de Van, Bitlis, Diarbékir et Mamuret-el-Aziz, dans la partie orientale du vilayet de Sivas. Elle est nombreuse encore dans la Petite Arménie, autour du golfe d’Alexandrette (vilayet d’Adana et partie septentrionale du vilayet d’Alep). Le fait que dans aucun vilayet les Arméniens ne constituent toute la population, ni même la majorité absolue de la population, est très important au point de vue de l’application des réformes ; il entraîne comme conséquence que toute tentative de réformes doit tenir compte des droits et des intérêts de plusieurs races et se proposer comme premier objet de maintenir la paix entre elles et d’assurer à toutes la sécurité. L’autonomie léserait fatalement l’une ou l’autre des populations ; de sages réformes peuvent seules les faire vivre en bonne intelligence.

Pendant les premières semaines de la guerre de 1877, la poussée des armées russes vers Erzeroum et Trébizonde fut si rapide et si forte, que le sultan Hamid, effrayé, se hâta d’offrir aux Arméniens une sorte d’organisation autonome ; l’Arménie serait devenue une « marche » de l’Empire, une sorte d’État tampon entre les ambitions russes et le golfe d’Alexandrette. Rassuré par le traité de Berlin et l’alliance de l’Angleterre, le Sultan s’empressa de revenir sur ses concessions ; il procéda à une refonte des vilayets d’Asie qui avait pour objet de diminuer la proportion des Arméniens, et, en ajoutant aux provinces où les Arméniens sont nombreux des cantons kurdes, circassiens ou turcs, de les noyer dans une masse musulmane. C’est depuis cette époque que l’Arménie est partagée en six vilayets et que la carte ethnographique est devenue si différente de la carte administrative. Une réforme, en Arménie, pour être pleinement efficace, devrait d’abord procéder à une refonte des circonscriptions administratives.

Cette dispersion relative des Arméniens, leurs aptitudes plutôt tournées vers le commerce que vers l’agriculture ou le métier des armes, nous expliquent que, s’ils ont tenu une