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l’Empire, mais c’est naturellement parmi les populations les plus avancées en civilisation, les plus aptes à participer à la vie politique, que l’effet a été le plus fort. Les tribus nomades du désert arabe, les kurdes de la montagne, voisins de la Perse, n’en perçurent que de lointains échos. Mais parmi les hommes des villes, les riches commerçans, les chrétiens, les musulmans qui ont reçu une instruction dans les écoles françaises, l’effervescence fut très vive. La révolution avait éveillé subitement des espérances longtemps comprimées par le despotisme hamidien ; à ces espérances les méthodes des Jeunes-Turcs n’apportèrent que déceptions et déboires. Dans l’exercice du pouvoir ils donnèrent la mesure de leur libéralisme, les désastres de l’armée donnèrent la mesure de leur faiblesse. Des idées d’autonomie surgirent spontanément quand on apprit qu’à cet Empire qui n’a jamais eu d’autre principe de cohésion que la force, la force faisait défaut. C’est surtout parmi les Arméniens et dans les pays arabes de Syrie que les levains depuis longtemps jetés dans la pâte amorphe fermentèrent tout à coup et, qu’une volonté générale de réformes envahit les esprits et se manifesta au dehors.

Un groupe compact de plus de 5 millions 300 000 Turcs[1] vit sur le plateau d’Anatolie ; mais, au delà du Taurus et jusqu’aux frontières de la Perse et de la Transcaucasie russe la population turque est mélangée d’une proportion plus ou moins forte de chrétiens Arméniens et de Kurdes. C’est au cœur du massif de montagnes, dans les régions d’Erzeroum, Bitlis, Van, Kharpout que la proportion des Arméniens est la plus forte ; mais nulle part ils ne constituent toute la population ; ils apparaissent toujours en combinaison avec des Turcs, des Kurdes, des Circassiens. Il est difficile de connaître le nombre des Arméniens. Les statistiques turques en comptent 1 150 000 en Turquie d’Asie ; les statistiques arméniennes donnent plus de deux millions dont 1 250 000 dans les six vilayets de la Grande Arménie. Un million et demi vivent dans l’Arménie russe et la Transcaucasie ; à Etchmiatzin, près de la frontière turque, réside le Catholicos, chef à la fois religieux et national des Arméniens. La forme grégorienne du christianisme, qui appartient en propre à la race arménienne, a été, selon la loi des peuples

  1. Voyez le livre de M. Ludovic de Contenson, Les Réformes en Turquie d’Asie, p. 7. (Plon, in-8o). — Du même auteur : Chrétiens et Musulmans (Plon, 1901 ; in-16).