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fouillis de hautes chaînes, de vallées profondes, taillées dans la masse du plateau ; les communications sont difficiles d’une vallée à l’autre, mais le cours des rivières conduit, dans tous les sens, vers les villes de la plaine, l’Arménien habile au négoce. Le climat de l’Arménie rappelle celui du Caucase et de la Perse, avec des froids rigoureux en hiver. Le Tigre et l’Euphrate, qui jaillissent des montagnes arméniennes, descendent droit au golfe Persique, l’un des points les plus implacablement chauds du globe. L’Arabie déserte et brûlante commence presque au pied des montagnes ; le pays des Kurdes forme transition entre la haute montagne et les plaines immenses ; de là, jusqu’à l’Océan indien, on peut descendre sur plusieurs milliers de kilomètres sans trouver d’autres lieux habités que de rares oasis comme Palmyre. La péninsule arabique est un désert torride ; mais, vers l’Est, les deux grands fleuves jumeaux créent le paradis de la Mésopotamie avec ses milliers d’hectares de terres grasses qui n’attendent que l’afflux bienfaisant des eaux du Tigre et de l’Euphrate pour donner d’incomparables moissons. Vers l’Ouest, une série de chaînes parallèles forment écran entre le désert et la Méditerranée ; elles abritent dans leurs replis quelques belles vallées, quelques oasis luxuriantes : c’est la Syrie, c’est la Judée avec ses lacs endormis, et la dépression profonde de la Mer-Morte. Par une de ses extrémités, la Syrie touche à l’Anatolie et à l’Arménie, par l’autre à l’Égypte et à l’Arabie péninsulaire ; la Mésopotamie, elle aussi, confine au Nord à l’Arménie, par le Sud elle aboutit au golfe Persique : ce sont deux grandes voies historiques, les deux chemins que la civilisation et les armées ont, dans tous les siècles, suivis.

Ainsi déserts et montagnes concourent à dessiner dans l’Asie intérieure des compartimens qui n’ont entre eux que des communications difficiles ou artificielles et qui sont destinés par la nature à servir de cadre à des populations, à des races, à des religions différentes ; ils ont pu, à travers l’histoire, se trouver réunis par les hasards de la guerre et de la politique : ils n’en gardent pas moins une tendance incoercible au particularisme. Chacun d’eux a une issue directe vers une mer ; aucun n’est obligé de recourir à l’amitié ou à l’alliance de ses voisins et d’emprunter leur territoire pour obtenir un débouché commercial. Le chemin de fer de Bagdad qui traverse en diagonale toute l’Anatolie est une voie paradoxale, artificielle, plus poli-