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seule leur permettre de réorganiser un empire solide et viable. C’est ce qui ressortira de l’examen que nous nous proposons de faire de l’état actuel de la question arménienne et de la question arabe. Mais il fallait dire, avant d’aborder cette étude, que les sympathies les plus sincères, l’appui le plus loyal que les Puissances sont disposées à donner à la Turquie resteraient sans effet, si les Turcs ne commençaient d’abord par s’aider eux-mêmes et par accepter les conseils de leurs amis d’Europe ; s’il leur plaît de suivre une politique de suicide, personne ne saurait les en empêcher ; c’est assez de les avertir. Si la tête est malade, toute réforme dans les membres sera précaire ; mais en revanche, la santé rendue aux membres peut produire une réaction salutaire pour la guérison du chef.

II

La diversité est la loi de l’Empire ottoman d’Asie ; entre les divers pays qui en font partie, aucune unité géographique, aucun centre naturel d’attraction. Les grands fleuves, qui descendent des hautes montagnes d’Arménie, s’en vont divergeant vers quatre mers ou se perdent dans des lacs intérieurs. Constantinople commande une route maritime très importante, elle n’est pas située sur une grande route terrestre naturelle ; les vallées principales d’Asie Mineure descendent vers la Méditerranée ou la Mer-Noire. Aujourd’hui surtout, la capitale est excentrique à l’Empire ; chaque région a son centre particulier comme elle a son cachet propre et son caractère géographique spécial.

L’Anatolie est un vaste plateau coupé de vallées profondes, triste et pauvre, balayé par les vents du nord, très froid l’hiver, torride l’été : là seulement, dans ces steppes qui lui rappellent ses lointaines origines mongoliques, vit en groupes compacts le paysan de race turque, paisible et honnête cultivateur qui constitue la vraie force militaire de l’Empire, la suprême réserve de son avenir. Le plateau, sur la mer Égée, va se disloquant en vallées, en îles, en presqu’îles, qui ménagent, pour l’industrieux Hellène qui les habite, des plages au doux climat méditerranéen où mûrit la vigne et l’olivier. Vers l’Est, le plateau s’appuie aux massifs compliqués des montagnes de l’Arménie, avant-garde des énormes bastions de la Perse et de l’Asie centrale ; c’est un