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puissances européennes dans leurs intérêts, dans leur besoin pressant de sécurité, de travail et de paix.

I

L’amputation des provinces européennes, qui lui coûtaient si cher et qui étaient pour lui une cause d’embarras toujours renaissans, n’est pas un désastre matériel pour l’Empire ottoman ; la perte d’un membre gangrené est souvent salutaire au malade ; mais, — pour continuer cette comparaison chirurgicale, — il s’agit de savoir si le patient est en état de supporter le choc opératoire, si les centres nerveux directeurs et propulseurs de la vie ne sont pas atteints. ! Moralement, les défaites subies en Thrace et en Macédoine entament le prestige de la puissance turque, ébranlent la masse tout entière, diminuent l’autorité du sultan. Les leçons du malheur ne sont pas toujours entendues des gouvernemens. La victoire est, même à l’intérieur, génératrice d’ordre et de prospérité ; la défaite, au contraire, engendre les révolutions et les troubles civils. La Turquie aurait plus besoin de méditer sur les causes de sa défaite, de se recueillir, que d’essayer de reconquérir des lambeaux de son empire écroulé. Après de tels désastres, il lui faudrait un gouvernement réparateur, uniquement préoccupé du salut du pays, ralliant autour de lui tous les partis, associant toutes les forces vives de l’Empire. Chez nous, en 1870, les hommes politiques firent une révolution et changèrent la forme du gouvernement, mais la France envoya l’Assemblée nationale, vraiment nationale, réparatrice. On ne voit pas d’où pourrait venir, en Turquie, une Assemblée nationale, qui traduirait l’unanimité d’un sentiment commun, puisque l’Empire turc n’est pas une nation, mais un agrégat de nationalités disparates, de religions, de races diverses, que les Sultans ont réunies, par la force de leur cimeterre, sous leur autorité absolue et qui n’ont entre elles d’autre lien que cette autorité même. À défaut d’un gouvernement issu de la volonté nationale, il faudrait à l’Empire ottoman un pouvoir fort, mais libéral, préoccupé d’apaiser, d’unir, de concilier, d’organiser la sécurité et la prospérité dans un pays qui, depuis la révolution de 1908, n’a pas encore trouvé son aplomb, de prouver, en un mot, la nécessité d’un pouvoir central par l’importance de ses bienfaits.