Paris, 12 mars 1874.
Ma chère amie, vous prierez bien pour moi jusqu’au 25 mars, et ce jour-là surtout. Ce jour-là, je recevrai de Dieu un grand et terrible honneur ; un glaive de joie me fera dans le cœur une belle et immortelle blessure. Ma fille Luce ne veut pas rester dans le monde ; elle se donne à Dieu. Je connaissais sa résolution ancienne ; j’y applaudissais ; mais j’avais je ne sais quel espoir imbécile que cela ne m’arriverait pas, ou que je mourrais auparavant, ou que j’aurais le courage nécessaire. Le jour a été soudainement fixé et me voilà à la veille de ce grand sacrifice. En vérité, c’est dur ! Je le veux cependant de tout mon cœur. Assistez-moi néanmoins.
Le 19, je reprendrai le journal. Je vous assure que ce ne sera pas une fête, ni même une distraction.
Donnez cette nouvelle à Imbert, s’il est encore à Nice. Il connaît ma chère Luce, mais il ne sait pas ce qu’il y a de bonté, de grâce et d’esprit dans le cœur de cette enfant. C’est un soleil que je vois disparaître au commencement de mes vieux jours. Ah ! qu’il est heureux pour nous que Jésus nous ait appris à dire : Père, que votre volonté soit faite.
Adieu, ma très chère amie.
Paris, 27 mars 1874.
Mon cher ami, votre magnifique bouquet est arrivé mercredi matin. Ma fille ne partait que le soir. Elle a pu le voir et l’admirer. Comme elle ne vous connaît pas, elle a dit tout de suite : C’est la bonne Mme Volnys. C’était elle et vous et je pense le doux Bleuet. Vous êtes trois noms d’un même cœur. Je vous remercie tous trois. Je vous sentais autour de moi. J’étais content de ne pas vous voir de mes yeux, car je ne voulais pas pleurer. Rien qu’à l’aspect du bouquet arrivé pendant le déjeuner, le dernier qu’elle prenait avec nous, j’avais eu bien de la peine à me retenir. Cependant, ces chères fleurs m’apportaient une joie, mais la joie me fait pleurer, n’osant pleurer pour autre chose. L’enfant est partie le soir. Elle n’osait paraître heureuse, elle l’était et avait assez de chagrin pour le cacher.