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m’écriviez pas. Il faut m’écrire comme aux autres et même plus. Je ne suis pas un ami de vingt ans ni de trente, je suis un ami et même un amoureux de quarante-cinq ans. Un demi-siècle tout à l’heure ! Il faut seulement que vous sachiez souffrir des silences qui ne seront jamais volontaires.

J’ai fait l’autre jour une rencontre charmante sur les quais. J’ai trouvé votre portrait peint vers l’an 1750, et très vivant et très ressemblant. C’est Léontine tout à fait, entre vingt et vingt-cinq ans, l’œil noir, vif, espiègle et honnête ; la bouche railleuse et bonne. Tout y est, la forme du visage, la taille, l’habitude du corps, la physionomie franche et gaie, les lèvres caractéristiques sont relevées en pointe de croissant, le costume est du théâtre, et c’est probablement le portrait de quelque Sylvie de la comédie italienne. Je passe souvent devant cette toile de prix qui est chez un marchand du quai, et j’ai grand’peur qu’on ne l’achète ou de l’acheter moi-même. Je rêve d’écrire au-dessous : Tertiaire de Saint Dominique. Ce serait vrai pourtant.

Je plains bien votre grande Amie. L’aventure de ce mauvais garçon est-elle celle dont on a parlé dans les journaux ? Pauvre mère ! Puisse-t-elle réparer le malheur et cette honte par un autre crime d’état que le monde admirerait et redirait ! Tout à vous en Jésus rédempteur et crucifié.


Pour notre chère Rosalie, Aimez le bon Dieu ! Aimez le bon Dieu ! Aimez le bon Dieu ! Aimez-le bien. La mesure d’aimer Dieu est d’aimer sans mesure. Il faut l’aimer pour ceux qui ne l’aiment pas, pour ceux qui l’aiment mal, pour ceux qui l’aiment sagement ! Compromettez-vous pour lui. Que l’on parle des excès de votre amour ! Que l’on dise : Elle est folle ! C’est ce qu’il a fait lui-même. Tirez un avantage de l’avoir oublié et méconnu pour lui montrer plus d’amour à présent qu’il est apparu. Répandez tout le parfum, brisez le vase, essuyez de vos cheveux ses pieds qui se sont fatigués à vous chercher, et qui n’ont pris d’autre repos pour vous attendre, qu’en saignant sur la croix.

Souvenez-vous de notre pauvre frère qui parle et qui n’agit pas. Quand vous vous sentirez Reine par l’amour, dites à votre Roi : Ramassons ce vieux cuivre qui ne vaut rien, mais par lequel quelquefois votre souffle a passé.