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Paris, 20 janvier 1874.

Chère amie, rendez grâce à Dieu de ma condamnation, un peu inique, en souhaitant que je n’en profite, c’est-à-dire qu’elle ne m’épouvante pas. Il en coûtera au journal, à vue de nez, une cinquantaine de mille francs, dont je paierai de ma poche au moins la moitié ; mais le mal serait que, quand je recommencerai, je ne continuasse pas. J’espère bien que je continuerai jusqu’à la dernière obole de la bourse et du corps. L’âme s’en portera mieux. Ne soyez pas fâchée d’une chose dont Dieu est content. J’ai défendu l’honneur du pays, j’ai défendu les lois de l’Église. On paierait plus cher le plaisir de faire moins. La vérité vit de ces sacrifices. Quand ses défenseurs sont bâillonnés, la vérité commence à vaincre ; si on les tue, son triomphe est arrivé. Un défenseur lâche, seul, lui fait tort. Que je ne sois point ce gredin-là ! Adieu, chère amie. Je suis étonné d’avoir pu vous en écrire aussi long, dans la peine où je suis.


Paris, 5 mars 1874.

Ma très chère Marie-Dominique, voici une petite écriture pour la Rosalie. Donnez-lui cette marque de votre amitié, que ne peut manquer de suivre la mienne. C’est très long, mais puisqu’on est devenu vieux, il ne faut pas avoir honte de radoter. Du reste, je ne peux vous dire combien j’ai de sympathie et de respect pour ces âmes qui ont le beau privilège de s’empoigner d’enthousiasme pour toute chose un peu bonne et qui la croient tout de suite aussi belle en tout qu’elle devrait être. Elles entendent une belle voix, les voilà parties, elles supposent tout de suite une belle âme, un grand cœur, toutes les autres beautés. Elles se détrompent, mais elles se retrompent. Qu’elles se hâtent d’aimer Dieu, pour ne plus jamais perdre cette faculté divine du ravissement, et supporter sans mourir le déchet qu’elles sont exposées à faire sur tout le reste.

Je me trouve mieux depuis deux jours et il me semble que je pourrai bientôt reprendre mes besognes. Mais la bonne affaire serait d’être soumis à la volonté de Dieu, quand même le mal, au lieu de décroître, empirerait. J’espère qu’il en sera ainsi, et bien certainement, c’est ce que je veux.

N’allez pas imaginer que je vous demande, ni que je vous ai demandé de ne point m’écrire, ni que j’accepte que vous ne