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contenter le public, par un autre. Tant qu’il n’y a pas de lettre à Léontine, l’existence ne peut être certifiée. Si la lettre tardait trop, alors N, i ni, ce serait signe que le cœur ne bat plus. Voici la lettre, donc le cœur bat, donc je vis. Ne m’en demandez pas plus, c’est tout ce que je sais. Tout ce qui se passe est si bête et si poignant que la vie m’est insipide. Pour me réveiller par un surcroît de chagrin qui sera un surcroît d’horreur, je vais à Rome. Malheureusement, je ne passe pas par chez vous. J’ai espéré un moment que je le ferais. Le parfum de vos violettes m’eût été un cordial. J’aime ce tombeau qui est une si grande part de votre vie. Je ne peux pas. Je n’ai que quinze jours, et je dois en passer un chez l’évêque de Genève. Je file par le trou, je vois le Saint-Père et je reviens à toute bride. Nous sommes à ce point malheureux que le voyage de Rome me devient une corvée. Qui me l’eût dit, je l’aurais traité de sot. Mais à présent qui annonce des choses monstrueuses et impossibles n’est pas prophète.

Enfin au moment de partir, je vous dis adieu, je vous dis que je vous aime et je me recommande à vos prières. J’ai des amis qui pensent que les Italiens prendront soin de m’assassiner. Hélas ! ils ne sont pas assez honnêtes gens pour me faire ce plaisir-là. Ceux qui peuvent me haïr ont un bien meilleur moyen de se venger : c’est de me laisser vivre pour voir leurs œuvres. Priez Dieu pour qu’il me remplisse d’indignation et me donne du moins le plaisir de haïr assez le mal.

Il faut finir, très chère amie. Les paquets particuliers que j’ai à faire me talonnent. Je vous embrasse avec la permission de M. Volnys. Tous mes complimens autour de vous.


Paris, 9 janvier 1874.

Merci, très chère amie, votre vieille formule est charmante, et, comme vous le pensez bien, elle est la mienne depuis longtemps. Je l’ai apprise au berceau, je la récite toujours. Il y avait quantité de ces choses-là dans le bon peuple de Dieu. Que de gens à qui ces bonnes simplicités ont empêché d’oublier l’essentiel de la vie ! A présent, nous-mêmes nous serions tentés d’abréger. Il suffirait, à ce qu’il nous semble, de dire : Je vous souhaite une bonne année et une bonne santé et le paradis à la fin. A quoi bon plusieurs autres ? Cela semble gâter tout. Mais