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Savez-vous une chose qui m’occupait durant ma viduité, c’est que si elle m’avait pris un peu plus tôt, avant de vous retrouver, vous ne m’auriez pas reconnu, ni moi vous, et que c’eût été dommage. Il m’arrangeait assez que comme vous avez eu sans le savoir les premières fleurs de mon esprit, vous eussiez aussi les dernières, et que ma vie intellectuelle se trouvât en quelque façon enchâssée dans la vôtre. Cela se terminait bien ainsi. Mais cette conclusion symétrique n’importe pas, et quand nous serions unis plus longtemps, il n’y aurait point de mal. D’ailleurs, vous êtes toujours sûre d’avoir les derniers bouquets.

Vous avez bien raison de croire que j’étais parfaitement résigné. Parfaitement, c’est-à-dire à peu près, pour rester dans la mesure. Il est plus sûr encore que l’épreuve a été bonne. Maintenant que ce n’est plus une maladie, je m’aperçois que ça a été une retraite. J’ai réfléchi qu’il y avait beaucoup de choses dans ma vie qui se passaient en discours ; le soin de bien parler me faisait trop négliger le soin de bien faire. J’avais plus de bons propos que de bonnes œuvres, je négligeais la prière. Je m’y suis remis un peu, et je m’en trouve bien. La santé chrétienne est infiniment meilleure qu’il y a six mois. Je me fiche de l’acrobate. S’il a quelque chose de cassé, tant pis pour lui. Ne faut-il pas qu’il meure ?

Il me semble que la prisonnière lime assez bien ses barreaux. Chère âme ! qu’elle m’intéresse et que je fais des vœux ardens pour sa délivrance totale ! Si elle pouvait se trouver en liberté, si elle pouvait voir comme nous ce que nous voyons et se promener dans nos jardins ! Mais elle aurait un jardin réservé, parce que Dieu lui ferait des grâces que nous n’avons pas. Ayant rompu de plus fortes attaches que les nôtres, sa liberté serait en raison de la captivité qu’elle a vaincue. Si elle savait cela... Elle ne doit pas le savoir, car son mérite serait moindre. Il faut que l’amour de Dieu fasse tout, qu’elle se délivre parce que Dieu le veut, et qu’elle ne connaisse qu’ensuite les joies de la délivrance.

Je suis pressé de toutes sortes de travaux. Depuis deux mois, j’ai laissé beaucoup de choses en retard. J’y cours et je vous laisse. Vous n’êtes qu’une friandise. Adieu, très chère amie. Priez bien pour moi. Dites à votre Alexis que son mot d’amitié me va au cœur, et au père Volnys qu’il a beau faire le sourd : il entendra. Je suis tout à vous.