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Il y a un Dieu et des esprits, un grand Diable et des démons, Il y a un surnaturel et un sous-naturel.

L’histoire est partout pleine de cela, même pour les yeux qui ne veulent point voir. Comme elle croit au surnaturel divin, l’Église croit au sous-naturel diabolique. Là où l’Église croit, il faut croire, parce que l’Église ne peut croire rien de faux. L’Église fait des exorcismes, donc il y a quelque chose à exorciser. Ajoutons que, pour en douter, il faut nier l’existence du bien et l’existence du mal, ce qui est purement insensé.

Les hommes ne sont que des esprits revêtus d’un corps et qui laisseront ce corps sans périr eux-mêmes et sans cesser d’être esprits. Pourquoi n’y aurait-il pas, comme la foi et le bon sens l’enseignent, des esprits à qui Dieu n’a point donné de corps, et pourquoi ces esprits sans corps ne pourraient-ils pas, Dieu le permettant, et dans la mesure où il le permet, prendre l’apparence et la force d’un corps ? Il n’y a point de raison contre cela, ou ce sont des raisons allemandes. Que cette apparence soit ou ne soit pas, qu’elle soit réalité ou illusion spéciale pour nos sens comme ce que nous voyons, entendons et touchons en rêve, qu’importe ? Il ne peut être plus difficile à Dieu de nous envoyer une vision sensible seulement pour nous que de nous envoyer un rêve totalement étranger à d’autres qui dorment près de nous. Parce que ces autres n’ont eu ni ma vision, ni mon rêve, est-ce la preuve que je n’ai ni vu ni dormi ? C’est comme si l’on me disait que telle femme que j’ai aimée ne pouvait inspirer l’amour, parce que d’autres qui l’ont connue n’en furent point épris.

Quant aux conséquences des visions pour notre salut, qui sont la grande affaire, elles peuvent être bonnes, elles ne sont mauvaises que si nous le voulons bien. Elles n’ont nul pouvoir supérieur à celui des autres tentations qui viennent par les sens ou par la pensée. Dieu est toujours là, toujours tout-puissant. Il n’y a point de fait en dehors de l’ordinaire et de ce que l’on appelle la nature, qui ne soit la preuve suréminente de Dieu. Autrement, le diable seul serait prouvé, serait seul maître et il n’y aurait dans ce monde aucun bien. Or, malgré tout, la justice triomphe et triomphera dans la vie éternelle, et dès ce monde même, l’âme juste connaît la gloire et conserve la paix, malgré les ressources ordinaires et extraordinaires du mauvais.

Croyez au diable (à son existence) et moquez-vous de lui.