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Pour mon métier, j’ai besoin de savoir le titre du livre où se trouve l’histoire de ma très honorée sœur Gaultier. Faites copier la première page avec le nom du libraire e. la date.

Adieu. Je n’ai qu’un jour de vacances, je ne peux pas vous le donner tout entier. Ne dites point que je vous écris aujourd’hui. J’ai d’autres correspondans à Nice qui sont en souffrance. Je vais m’occuper de mon pauvre docteur Imbert. Tous les matins il m’arrive quelque affaire qui prend le pas sur la sienne. Je vous assure que j’ai une rude profession !

J’aime toujours bien le papa Volnys et le fils Alexis’. Bien à vous.


Probablement, 23 mai 1873.

Très chère amie, me voici enfin. J’arrive dans toutes les postures de la contrition. Pardonnez-moi avant d’écouter mes explications, vous ne les comprendrez que si vous avez quelque habitude des fous. Vous ai-je dit qu’il y avait dans ce temps-là deux Yelva, une visible et idéale, une autre invisible et réelle ?

L’idéale, vous la connaissez ; l’invisible, c’était ce diable charmant et traître qu’on appelle la poésie. Je lui faisais des sermens qu’elle semblait recevoir, nous devions nous marier, et c’était déjà tout comme, car, en vérité, nous faisions vie commune. Elle me détournait du travail positif et régulier. C’est pourquoi je passais tant de nuits blanches et je mangeais tant de pain sec. Je lui dois mon extrême ignorance de tant de choses que tout le monde sait. Elle m’emmenait à l’école buissonnière dans les nuages, quand ma bourse ne me permettait pas d’aller au théâtre de Madame pour contempler l’autre. Cela dura longtemps et je ne fus pas infidèle, malgré la sobriété qu’exigeait ce genre de vie. Mais, par ordre supérieur, je dus épouser la polémique. Hélas ! quelle épouse ! La poésie dut décamper et me laissa fort triste dans mes liens nouveaux qui un beau jour se trouvèrent sacrés. Voici l’horreur. Toute sacrée qu’elle est, Mme Polémique ne laisse pas de m’ennuyer souvent ; même elle m’assomme, et quand elle apporte les arrérages de sa dot, je voudrais la noyer dans un puits. Tant il est vrai que l’homme n’est pas fait pour gagner de l’argent et que tout ce qui lui en rapporte lui devient de quelque façon odieux. Il arrive alors que l’autre, appelée par de lâches soupirs, reparaît dans sa robe d’indienne plus fraîche, plus riante, plus parée de ses violettes et