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Paris, !e 17 janvier 1873.

Ma bonne chère amie, lundi dernier, si vous avez bien cherché sur vos chers tombeaux, vous y avez dû trouver un adieu très tendre que j’ai jeté là en courant vers six heures du matin. J’ai fait bon voyage en pensant à vous, et j’ai trouvé ma maison pleine d’ordre et de joie comme je m’y attendais. J’ai commencé à vous décrire de la tête aux pieds. J’en suis au cœur et je n’ai pas encore fini. Combien je vous remercie de m’avoir donné ma Léontine ! Mes trois femmes, je veux dire mes trois filles qui n’ont jamais mis les pieds dans un théâtre sont émerveillées de ce que je leur conte et s’aperçoivent qu’elles ne connaissent pas toutes les beautés des choses de Dieu. Je n’en dis pas plus long aujourd’hui. Il me semble que c’est moins que rien. Mais je ne peux pas rester trois jours sans vous annoncer que j’ai fait ma route. Priez bien pour moi, je rentre dans la mer. Faites, s’il vous plaît, mes complimens à M. Volnys. Je regrette d’avoir manqué la poignée de main qu’il me réservait au départ.

Toutes les amitiés de mon cœur à M. Fay. Pour vous, je n’ai plus rien à dire ; la plume est trop bête, elle n’a pas la prononciation.


Paris, 22 janvier 1873.

Très chère amie, j’ai reçu votre flot d’écriture. Son étendue ne l’a pas empêché d’entrer tout entier dans mon cœur. Croyez que je serais homme à vous répondre page pour page et mot pour mot. Je ne cesserais jamais d’avoir quelque chose à vous dire. ; Mais j’habite en mer et je me bats. A peine ai-je le temps de me tourner vers le rivage et d’y jeter un bonjour. Il faut tout de suite remettre la main au gouvernail, veiller à la voile, pointer le canon. Enfin, bonjour ; ne cessez pas de m’aimer, ne cessez pas de me le dire. Comme c’est curieux de s’entendre dire ces choses là dans mon métier 1 Mais en eusse-je l’habitude, je ne me lasserais pas de l’entendre de vous. Qui me l’eût annoncé vers 1830 m’aurait fait chercher quelque sorcier capable de mettre un demi-siècle en pilule et de me le faire avaler en un instant. Ce qui est plus curieux, c’est que le sorcier est venu lorsque je ne le cherchais pas et qu’il a opéré le prodige. Seulement, au lieu de faire le saut en avant, je l’ai fait en arrière.