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« Depuis le jour où tout ceci me fut révélé, j’avais souvent désiré voir, d’une façon encore plus claire, quelle avait été l’intention de Notre-Seigneur en me faisant ces révélations. Un peu plus de quinze ans après, je reçus spirituellement, dans mon entendement, la réponse suivante : Tu voudrais savoir ce que ton Seigneur a voulu dire ? Sache-le bien, c’est l’amour qu’il avait en vue. Qui t’a révélé tout ceci ? L’amour. Que t’a-t-il montré ? V amour. Et pourquoi l’a-t-il fait ? Par amour. Si tu t’y attaches fermement, tu le découvriras encore bien davantage. Mais tu n’y trouveras sûrement jamais autre chose que de l’amour.

« Ainsi ai-je appris que l’amour était uniquement ce que Notre-Seigneur avait en vue.

« J’ai vu très clairement qu’avant de nous créer. Dieu nous aimait, d’un amour qui ne s’est jamais ralenti et qui ne se ralentira jamais. C’est avec cet amour qu’il a accompli toutes ses œuvres, qu’il a fait tout ce qui nous est profitable ; et c’est dans cet amour que notre vie est immortelle. Pour nous, la création a été le commencement. Mais l’amour qui l’a porté à nous créer était en lui de toute éternité ; et, quand nous avons commencé d’être, il nous aimait déjà d’un amour sans commencement. Et tout ceci, nous le verrons en Dieu, pendant l’éternité. »

Après cela, Juliane pouvait se taire : nous savons quelle plénitude était enveloppée de son silence. Nous savons moins quels interlocuteurs s’approchaient de sa petite fenêtre grillée et voilée, pour consulter l’invisible recluse. Sans doute ils représentaient les types variés de l’Angleterre contemporaine : moines et laïcs, hommes d’armes et marchands, servantes et châtelaines. Il y avait des dames somptueuses qui portaient des fortunes dans les pierreries de leurs ceintures et de leurs hennins, et qui aimaient à voir dans les tournois jouter des chevaliers portant leurs couleurs ; il y avait des âmes troublées par les spectacles de détresse qu’offrait un pareil temps : « Tout finira bien, tout est pour l’amour, » leur affirmait-elle. Il y avait des voyageurs qui revenaient du continent sur l’île verdoyante et fleurie « cet autre Eden, ce demi-Paradis, » suivant les expressions poétiquement attendries de Shakspeare, cette « pierre précieuse enchâssée dans l’argent des eaux, » et ceux-là rapportaient d’étranges nouvelles : ils disaient le rôle miraculeux joué dans le retour de la Papauté à Rome, par une tertiaire