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est si grande que, lorsqu’ils ne s’aiment pas, ils s’éloignent de leur propre nature. »

Juliane affirme bien haut qu’elle n’a pas à s’enorgueillir de ses révélations, que toute âme peut en retirer autant de grâces qu’elle-même. « Le fait de ces visions ne me rend pas meilleure ; ce sera seulement si mon amour pour Dieu s’en est accru, et si elles augmentent le vôtre plus que le mien, elles vous seront plus profitables qu’à moi. »


IV

Et le jour vint où elle acheva son livre. Elle avait encore de longues années à vivre, à prier, à se taire, à ne parler que pour consoler des âmes tristes, guérir des âmes souffrantes, apaiser des âmes inquiètes, revivifier des âmes mortes. Les pèlerins lui parlaient sans connaître son visage, mais ils entendaient sa voix et dans cette voix passaient toutes les vibrations de l’âme. Elle ignorait leurs traits, mais elle apprenait d’eux leur secret le plus intime, le plus profond, celui que ne soupçonnaient pas toujours les êtres humains compagnons de leur vie quotidienne, et dont ils ne s’étaient jusqu’alors jamais entretenus qu’avec Dieu. Quels étranges rapports avaient ces recluses avec les créatures et leur Maître ! Peut-on imaginer ces vies d’où tout le superflu était banni, uniquement vouées à l’unique nécessaire ! Et Juliane vécut soixante-dix ans après avoir eu ses révélations, cinquante-cinq ans après les avoir écrites. Elle qui avait tant désiré terminer de bonne heure son existence terrestre, elle fut soumise à cette épreuve d’une vieillesse prolongée, mais elle avait trouvé dès ici-bas sa consolation. Elle savait que le don magnifique de l’au-delà n’était point pour elle seule, qu’elle devait le communiquer aux autres âmes, et que l’âme qui le recevrait avec le plus d’amour serait celle qui, le plus, y participerait. « Tout est pour l’amour... Tout finira bien, » répétait-elle.

Elle avait appris à vivre dès ici-bas au milieu des choses fugitives, comme si déjà son âme était entrée dans l’éternité.

Et son volume se ferme comme un poème sur un admirable chant d’amour qui résume toute sa doctrine, tout son enseignement :