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et nous croyons retrouver dans ces exclamations l’accent familier de la grande mystique. « Qu’avez-vous donc écrit ? Je ne reconnais pas cela. Je ne sais comment vous faites ; vos paroles n’ont aucune saveur ; elles servent tout au plus de loin à me rappeler celles que j’ai entendues. » « Ceux qui sentent le plus Dieu, déclare Juliane, osent le moins parler de Dieu ; parce que ce qu’ils sentent est ineffable et infini ; ils croient que tout ce qu’ils disent ou peuvent dire en comparaison, est comme si ce n’était rien. » Ce n’est pas sans surprise que nous voyons l’Angleterre de Chaucer faire écho à l’Italie de Dante.

Juliane, tout occupée du monde spirituel et de la vie intérieure des âmes, songe beaucoup au rôle mystérieux de la prière. Elle a dit : « La Bonté de Dieu est bien au-dessus de toute prière, et elle s’abaisse jusqu’au dernier de nos besoins. La prière instante est un vouloir véritable et persévérant de l’âme, ne faisant qu’un avec la volonté de Notre-Seigneur, grâce à une opération de l’Esprit-Saint aussi douce que secrète... Notre Sauveur la porte plus haut, dans le trésor où elle ne périra jamais... Par la prière, l’âme accorde pour ainsi dire quelque chose à Dieu... Plus Dieu se montre à l’âme, plus elle le désire avec l’aide de sa grâce. Mais lorsque nous ne le voyons pas, c’est alors que nous sentons le besoin de prier Jésus, à cause de nos défaillances, pour qu’il vienne à notre secours. Mais aucune prière ne saurait obtenir que ce soit Lui qui se plie à nos volontés, car son amour est toujours égal à lui-même... ; La miséricorde et le pardon sont toujours dans cette vie mortelle le chemin qui nous conduit à la grâce. »

L’âme de Juliane, comme l’âme de tant d’autres mystiques, nous apparaît ainsi qu’une harpe suspendue entre ciel et terre, et frémissante à tous les souffles de l’infini. Nous avons recueilli seulement quelques-uns de ses accords. Juliane nous donne quelques pensées lumineuses sur la Communion des saints. « Dieu veut, dit-elle, que je me sente aussi liée à lui par l’amour que s’il avait fait pour moi seule tout ce qu’il a fait ; voilà ce que chaque âme devrait se dire intérieurement. La charité divine établit entre nous une telle union que, lorsqu’on la comprend bien, on ne saurait s’isoler ; aussi chaque âme doit penser que Dieu a fait pour elle tout ce qu’il a fait, » Sainte Catherine de Sienne, la glorieuse contemporaine de Juliane, termine une de ses prières par ces mots : « La conformité entre les hommes