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leur pensée. Ce qu’ils ont à dire est inexprimable. Les mots humains éclatent, car le mystère qu’ils veulent y introduire est celui de l’infini. Mais le contexte nous éclaire toujours suffisamment sur la portée précise du texte. M. Léonce de Grandmaison le remarque, à propos de certaines paroles de sainte Catherine de Gênes. « Le propre centre de chacun est Dieu même, » disait cette sainte. Et encore : « Mon Moi est Dieu, et je ne reconnais pas d’autre Moi que mon Dieu lui-même. » « Il serait souverainement injuste et, plus encore, inintelligent, commente M. de Grandmaison, de s’arrêter à ces expressions passagères de sentimens ineffables. En réalité, et c’est là le fruit le plus général et doctrinalement le plus précieux de l’expérience mystique, nulle part on ne trouve mieux dégagée, plus frémissante de sentiment, plus criante de vérité que chez les saints, dans ces hauts états, la notion véritable de Dieu, de sa créature et de leurs rapports mutuels. » Ce sont ces phrases de lumière frémissante, ces cris de profondeur, qui parfois nous étonnent dans le texte des mystiques, et qui dépassent toutes les beautés de l’art humain, et des philosophies humaines.

Juliane que nous avons entendue parler à peu près comme Platon sur la double vie de l’homme : « Il y a deux parties en nous, l’extérieure et l’intérieure..., » tandis que Platon affirme : « Il y a deux parties en nous : l’une plus puissante et meilleure destinée à commander, l’autre inférieure et moins bonne à laquelle il convient d’obéir, » Juliane a des pensées qui s’offrent aux plus hautes méditations des philosophes. Platon, certes, eût été frappé de certaines d’entre elles, des mots par lesquels elle proclame pour l’être humain les délices de vivre en union avec son âme. « Rien de terrestre, dit Platon, ne doit l’emporter sur ce qui tire son origine du Ciel, et quiconque a une autre idée de son âme ignore l’excellence du bien qu’il dédaigne. » Juliane s’entend à proclamer cette excellence, lorsqu’elle dit : « L’âme est créée pour être la demeure de Dieu, et sa demeure à elle est l’Incréé. »

Le Moyen âge est une époque où de simples femmes ont dit des paroles si profondes que les philosophes de la Grèce en eussent été stupéfaits. Qu’elles les aient écrites ou dictées, elles-mêmes sans doute, en les relisant, les trouvaient inférieures à ce qu’elles avaient entendu ou ressenti : « C’est singulier ! c’est étonnant ! » s’écriait Angèle de Foligno, s’adressant à son secrétaire,