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Notre-Seigneur m’avait dit : « Vois donc ! n’y a-t-il pas là matière à t’humilier ? N’y a-t-il pas là matière à te réjouir en moi ? »

Quelques lignes nous donnent ainsi un plan pour l’histoire mystique d’une âme. Plan secret et magnifique ! sorte de rythme analogue au mot de Pascal : s’offrir par les humiliations aux inspirations !

S’humilier est le premier abaissement, le premier anéantissement volontaire. « Il faut qu’il croisse, et que je diminue, déclarait saint Jean. » L’eau comble le vide que fait la terre en se creusant. L’amour de Dieu comble le vide que cette âme creuse en elle-même par son abaissement. A l’âme qui aime il est donné de se renoncer. Le renoncement descend à une profondeur où n’atteint pas la simple humiliation. Il descend aux racines de l’être. Il faut que l’âme qui se renonce ainsi soit poussée par l’amour. Sans l’amour, elle n’atteindrait pas à ce renoncement. Mais, dès qu’elle y atteint, elle renouvelle le don de son être à Dieu depuis les racines, et elle arrive au principe de son être qui est Dieu. Et comme le premier abaissement de l’humilité lui a donné l’amour, le suprême abaissement du renoncement lui donne un degré supérieur d’amour, de sorte qu’elle voit ses affections, sa vie même, transportées en Dieu, et qu’elle trouve en Dieu cet épanouissement de la joie spirituelle qui est le plus haut couronnement de l’amour.

Rien n’était dit au hasard dans un livre comme celui de Juliane, et quelques mots nous révèlent les étapes d’une épopée mystique, — un de ces voyages de l’âme, analogue à celui que sainte Thérèse nous décrit dans le Château intérieur. Elle rencontre parfois sainte Thérèse dans ces hautes régions. « Durant sa vie passagère ici-bas, notre âme ne peut arriver à se connaître elle-même... » Ainsi parle Juliane. « Pour moi, déclare sainte Thérèse, je ne trouve rien à quoi l’on puisse comparer la beauté ravissante et la capacité prodigieuse d’une âme. Non, quelque vive que soit la pénétration de nos esprits, ils ne peuvent parvenir à s’en former une idée. » Juliane ne connaît pas les magnifiques développemens de sainte Thérèse, mais la recluse du Moyen âge, comme la sainte de la Renaissance, écrit telles phrases qui pourraient être l’aboutissant ou la conclusion d’un traité de philosophie.

Le style de sainte Thérèse a la richesse de l’art qui fleurit à