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n’a pas de substance, ni aucune sorte d’être, et on ne saurait le connaître autrement que par la souffrance qu’il cause. » A la même époque environ, Tauler écrivait : « Le péché n’est rien par lui-même ; il n’a ni être ni substance, et il ne peut produire que le mal en donnant la mort à ceux qui le commettent. » « Quant au mal, en général, nous explique M. Léonce de Grandmaison, le mystique tend à lui dénier tout caractère positif ; là encore, il est en complète entente avec les grands théologiens scolastiques. Saint Thomas, en particulier, concilie admirablement le caractère négatif du mal, avec les dures expériences qui nous montrent dans cette privation d’un bien requis, indispensable, une perversion réelle trop évidente. » Juliane recueillit encore d’autres paroles : « Il est vrai que le péché est cause de ces souffrances, mais tout ira bien, oui, tout ira bien, aie confiance : tout finira bien. »

L’angoisse de cette femme voisinait avec les préoccupations des grands docteurs et des grands mystiques. Elle n’était pas qu’une sentimentale. Il est permis de songer qu’elle possédait une vigoureuse et lucide intelligence. « Dieu, certes, déclare M. Léonce de Grandmaison, est maître de ses dons ; il peut choisir pour se communiquer privément à elle toute âme qu’il daigne admettre à son amitié. Et même, si l’on garde devant les yeux, comme plus caractéristiques, les états sublimes, extraordinaires, dans lesquels la faculté humaine est élevée au delà de sa portée normale, il est clair qu’il n’y a pas à chercher, dans les antécédens psychologiques de ceux qui en sont les sujets, une préparation habituelle, ou une aptitude naturelle, qui expliquerait pleinement ou qui exigerait ce libre don. Il reste certain, néanmoins, que l’action divine tient compte, même en les perfectionnant, même en les surélevant, des élémens naturels qu’elle rencontre, et s’y attempère. »

Juliane nous semble donc avoir été douée d’une vigoureuse intelligence et d’une sensibilité délicate. « Aie confiance, tout finira bien. Je vis, dit-elle, dans ces paroles un merveilleux mystère profondément caché en Dieu, mystère qu’il nous révélera un jour dans le ciel. Nous verrons alors la vraie raison pour laquelle il a permis que le péché fût commis, et nous nous réjouirons éternellement de le connaître. » « Le Seigneur notre Dieu m’a révélé qu’une Œuvre sera faite, que lui-même accomplira. » Elle s’accomplira pour tous les élus. » C’était comme si