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combattu ? Le fait silencieux qui se passa dans la cellule d’une recluse, pendant quelques heures, en ce même XIVe siècle, fut tel qu’il absorba toute la vie de cette recluse, ou une grande part de sa vie. Elle la passa dans le souvenir et dans la méditation perpétuelle de ce souvenir. Il est vrai qu’elle avoue elle-même avoir laissé les faveurs divines s’effacer dans sa mémoire, mais faut-il prendre à la lettre cet aveu ? Par l’infirmité humaine, le souvenir avait pu pâlir ; elle se reprochait cette faiblesse, lorsque, à la veille du jour où elle devait se mettre à écrire, la bonté de Dieu ranima dans son esprit l’intensité de ces visions. Et, lorsqu’elle en écrivit le récit, quinze ans après l’heure des révélations, elle l’entremêla de certaines pensées graves, fortes et profondes, qu’il suscitait en elle. Le livre qui s’était ouvert pour elle sur le crucifix surpassait infiniment toutes les œuvres des hommes et tous les livres de la terre.

« Ah ! mon bon Jésus, reprenait cette anxieuse Juliane, comment pourrait-il se faire que tout aille bien, étant donné le grand mal que le péché fait à la créature ? Et je désirais, autant du moins que je l’osais, recevoir sur ce point quelque déclaration bien nette qui fût de nature à me rassurer. » Peut-être, à l’exemple de l’apôtre saint Thomas, Juliane était-elle un peu trop lente à se convaincre, mais le Seigneur s’apitoya devant cette anxiété : pour toute réponse il lui donna de nouvelles lumières sur l’œuvre de la Rédemption. « Cela équivalait à dire, ajoute-t-elle, en nous pressant d’y faire attention : Puisque j’ai réparé le plus grand mal, tenez pour certain que je réparerai aussi tous ceux qui sont moindres, »

L’humble vie quotidienne s’ennoblit et s’embellit quand elle s’éclaire de pareils reflets. Jésus regardera « les plus petites actions comme les plus grandes. Rien, pas même la moindre chose, ne doit être oublié, ni perdu... » « Il y a une Œuvre que la sainte Trinité accomplira au dernier jour. » Juliane n’a pas un doute, elle croit fermement ce que l’Église enseigne, elle proclame sa foi, mais elle voudrait savoir, elle a soif de savoir, et c’est une soif pathétique qui fait le drame secret de sa vie de recluse.

Juliane raconte que Notre-Seigneur lui dit : « Il convient que le péché existe, mais, sois sans inquiétude, tout est bien, tout finira bien. » Elle aperçut alors les horribles résultats du péché, « mais, ajoute-t-elle, je ne vis pas le péché, car je crois qu’il