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la Règle des Recluses et comme l’Échelle de Perfection font deviner que telles étaient plusieurs de ces recluses, et nous divulguent leur idéal, celui du moins auquel elles prétendaient conformer leur vie. Toute la souffrance du monde trouve un écho dans le cœur de Juliane. Elle souffre de la douleur de son siècle. Chaque être de son siècle souffre d’une douleur particulière, mais dans son âme, à elle, dégagée de ses propres douleurs comme de ses propres joies, elle accueille la douleur de tous. Elle l’accueille et elle l’élève. Elle est l’encensoir où cette douleur s’embrase et qui la dirige vers le Ciel. Je suis sûre que Juliane n’a rien ignoré de son siècle qui fut le siècle de la guerre de Cent ans, et que le cri des immenses détresses a atteint la fenêtre de sa petite cellule. L’Angleterre même était troublée. Ce fut le siècle de Du Guesclin et du Prince Noir, de sainte Brigitte de Suède et de sainte Catherine de Sienne. On voyageait à cette époque : les uns allaient de foire en foire et les autres de pèlerinage en pèlerinage. Les nouvelles se propageaient rapidement à travers la Chrétienté. L’auteur de The Ancren Riwle nous apprend que ces nouvelles trouvaient facilement accès dans la cellule des recluses. Peut-être Juliane a-t-elle entendu parler de sainte Catherine de Sienne, servante inspirée de la Papauté. Peut-être a-t-elle entendu parler de sainte Colette de Corbie, qui fut en France recluse comme elle, avant de devenir réformatrice des Clarisses et d’accomplir des missions diplomatiques. Au soir de sa longue vie, peut-être a-t-elle entendu parler de Jeanne d’Arc.

Elle a souffert pour son siècle, et c’est un magnifique spectacle de contempler cette douleur d’un siècle qui monte dans une seule âme en prière. Cette douleur, elle aide son siècle à la porter. Ainsi les bras du seul Moïse, ces bras levés sur la montagne, soutiennent pendant le combat l’effort de toute l’armée : elle souffre une véritable agonie de l’âme : « Je criais intérieurement de toutes mes forces : Ah ! Seigneur Jésus, Roi de Béatitude, comment serais-je soulagée ? »

Spectacle pathétique et sublime ! Cette vie, au lieu de se restreindre à la cellule qui l’emmure, s’élargit et s’étend jusqu’à embrasser l’univers. Aucun roi chef de peuple n’envisage de pareils horizons. Le P. Dalgairns de l’Oratoire nous définit en termes heureux cette faculté que possède Juliane d’être en communion avec l’atmosphère spirituelle et morale de son