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Juliane eût aimé la réponse de Jeanne d’Arc à ses interrogateurs : « Il y a plus de choses dans le livre de Dieu que dans les vôtres. » Juliane est de ces mystiques qui semblent avoir lu quelques lignes du livre merveilleux et mystérieux. Sainte Catherine de Gênes recevait des révélations sur le problème de la justice, de l’ordre et du péché ; Juliane, elle, eut des lumières sur le rôle de la souffrance et du péché dans le plan du monde et dans l’histoire des âmes. Sans doute elle a connu l’anxiété de son siècle. Elle a connu jusqu’à cette plainte sourde que la vie fait entendre au fond des âmes, pareille à celle de l’Océan lointain au fond des nuits silencieuses. « Jésus nous regarde si tendrement qu’il voit dans toute notre vie d’ici-bas une pénitence... » Cette aspiration nostalgique, ce soupir de l’âme vers Dieu parmi les obscurités et les angoisses de l’existence terrestre, c’est, — s’il faut croire Juliane, — la plus subtile et la plus acérée des pénitences. « C’est là une vraie pénitence, en effet, et la plus forte de toutes, à mon avis, car elle ne finira que quand nous serons rassasiés, quand nous posséderons Dieu comme notre récompense. Aussi veut-il que nous établissions nos cœurs dans ce qui nous surpasse, c’est-à-dire que nous les transportions de la peine que nous éprouvons dans la béatitude à laquelle nous avons confiance. »


III

Ce premier regard jeté sur l’œuvre de Juliane nous fait pénétrer dans l’intimité d’une de ces recluses que nous connaissions de si loin, et qui nous apparaissent à une telle distance de notre siècle ! Que les idées du monde nous apparaissent confuses, inexactes et courtes ! Il était, ce me semble, plus facile humainement de se représenter ces recluses solitaires comme des âmes assoupies, hébétées par la solitude, retranchées de l’humanité vivante, que comme des âmes étrangement en éveil, raffinées et aiguisées par l’ordre surélevé de leurs préoccupations, mystérieusement unies à toute l’humanité dans ce qu’elle comporte de plus vaste et de plus haut. Telle cependant nous apparaît Juliane. Et, de même qu’une lettre vraiment belle, vraiment profonde, a parfois quelque chance de nous dépeindre son destinataire aussi bien que son auteur, des œuvres comme