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les douleurs et les chagrins de chacun ; et par bonté comme par amour, il les partagea. » Ceux qui se penchaient à la petite fenêtre voilée et grillée de Juliane pour lui confier une peine ou un remords recevaient d’elle cette assurance : « Pour les péchés de chaque homme... Il a vu les douleurs de chacun. » C’est quelque chose comme : « Je pensais à toi dans mon agonie. »

« Il a souffert pour les péchés de chaque homme, il a vu les douleurs de chacun, il a eu compassion de chacune de nos souffrances. » Ainsi murmurait la douce voix de la recluse invisible derrière sa grille et son rideau. Ses interlocuteurs s’éloignaient, sentant le regard de Dieu posé sur leur blessure. Pour ceux qui voulaient savoir davantage, elle avançait un peu plus dans le mystère, et elle leur confiait, sans doute, ces autres paroles que le Christ murmurait à son oreille : « Si je pouvais souffrir encore plus, je le ferais. » Elle recueillit ces mots en regardant son crucifix. « Bien que la douce humanité du Christ ne puisse souffrir plus d’une fois, sa bonté peut ne jamais cesser d’offrir : chaque jour, il est prêt à accomplir le même sacrifice, si cela se pouvait. Car s’il disait qu’il veut pour mon amour créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre, ce serait peu de chose en comparaison ; car il pourrait le faire chaque jour, sans aucun effort de sa part, s’il le voulait. Mais s’offrir à mourir, par amour pour moi, un nombre de fois qui dépasse la raison humaine, c’est là, selon moi, la suprême offrande que Notre-Seigneur puisse faire à une âme... » De sa cellule attenant à l’église, Juliane devait voir chaque jour se célébrer le sacrifice de la messe et se renouveler la suprême offrande.

Comment n’eût-elle pas appris de son crucifix le sens surnaturel de la souffrance ? « Pour quelques souffrances endurées ici-bas nous aurons éternellement un degré supérieur de connaissance de Dieu que nous n’aurions jamais eu sans cela. » « Tout est pour l’amour... Tout finira bien, » redisait-elle. Et plus d’un pèlerin de ce siècle troublé, — tous les siècles sont troublés, — souhaitait sans doute d’entendre cette parole de l’invisible recluse derrière sa petite fenêtre grillée. Elle avait vu plus loin que ne regardent habituellement les yeux humains, et elle avait confiance, — une confiance souveraine, enveloppante, et qui, des sommets spirituels où elle se tenait, découle, lorsque nous lisons le livre, sur les sommets de notre âme.