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de paix et d’amour ; celle-ci, je la sentais encore plus profondément, et c’est en elle que, fortement, sagement, avec une volonté bien arrêtée, je choisis Jésus pour mon ciel. Ce fut pour moi l’occasion de constater que cette partie intérieure est vraiment maîtresse et souveraine ; qu’elle n’est nullement opprimée par la volonté de l’autre, et qu’elle n’y a aucune part, mais toute la volonté est faite pour être unie à Notre-Seigneur Jésus. »

Cette expérience de Juliane peut être rapprochée de plusieurs enseignemens de grandes mystiques : sainte Catherine de Gênes et sainte Thérèse. On étonnerait beaucoup les profanes en leur affirmant que le mysticisme a de sublimes précisions. Pour eux, qui dit mystique dit nuageux, flottant et vague. Ils seraient bien étonnés de découvrir que la géographie de ce monde mystérieux se dessine avec des contours aussi nets, aussi déterminés que ceux des îles et des continens. Leur surprise augmenterait encore s’ils voyaient ce monde régi par des lois infiniment délicates, mais si solides, quoique subtiles, si rigoureuses quoique nuancées, innombrablement nuancées ! Sainte Catherine voit exister simultanément dans la même âme des abîmes de joie et des abîmes de douleur. Sainte Thérèse nous parle d’un ciel de l’âme où Dieu habite, et d’un cœur inconnu qui s’éveille en son âme, plus profond que son propre cœur. Il y a, entre les mystiques, des analogies surprenantes et d’incontestables différences. A Gênes, Catherine Adorno, — sainte Catherine de Gênes, — nous parlera de cette double vie, connue par expérience, d’une façon toute directe. Quel que soit le pays, quels que soient le climat, la région, le milieu, l’hérédité, l’éducation, le mysticisme est un, mais les mystiques nous offrent des physionomies individuelles d’une originalité saisissante. Le monde ne peut méconnaître l’originalité d’une sainte Thérèse ou d’un saint François d’Assise. Les paroles les plus hautes sur la destinée humaine, les plus profondes sur l’âme et sur la vie, n’ont-elles pas été dites par ces mystiques qui, méprisant la philosophie et la littérature, ont dépassé les sommets de la philosophie et de la littérature ?

Le Mystère de Jésus : ce titre inépuisable, ce titre pascalien, pourrait convenir au livre de la recluse. « Le point de vue le plus élevé auquel on puisse se placer pour considérer la Passion, écrit-elle, c’est de se rappeler quel est celui qui souffrait... Et ce fut pour les péchés de chaque homme qu’il souffrit, et il vit