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Pourtant ceux qui aiment Jésus souffrent de la souffrance qu’il a subie à l’heure de sa mort : « Tous ceux qui étaient ses amis souffrirent en raison de leur amour. Et tout le monde en général ; c’est-à-dire que ceux qui ne le connaissaient pas sentirent que tout leur manquait, sauf d’être secrètement et puissamment conservés par Dieu. »

L’Evangile nous raconte que, à la mort du Sauveur, les pierres se fendirent, et Juliane de Norwich, par une grâce spéciale, semble-t-il, connut la mystérieuse détresse que ressentirent alors les âmes. L’histoire n’enregistre que les rumeurs bruyantes, et la plupart de ces âmes ne surent même pas quel nom donner à leur détresse. Elle outrepassait toutes les limites de leur compréhension, et aucune parole humaine n’était capable de l’exprimer. En regardant son crucifix, Juliane a vu les effets de la Rédemption dans les âmes, et le frémissement des âmes à l’heure où s’opérait leur Rédemption.

Quel spectacle se découvrait aux yeux de cette recluse qui, derrière sa petite fenêtre grillée, avait, renoncé aux spectacles du monde visible ! Elle connut le frisson qui, quatorze siècles plus tôt, traversa les âmes dans les cités, dans les déserts, à travers les îles fleuries des mers hellènes, dans les forêts obscures de la Gaule et de la Germanie, à Rome même, sur ce forum où, dans le crépuscule, toute une guirlande d’églises exhale aujourd’hui l’Angélus.

Juliane a regardé la douleur, mais elle croit à la joie, et elle le dit en mots saisissans : « Le bonheur durera éternellement, tandis que la douleur est temporaire : elle sera réduite à néant pour tous ceux qui seront sauvés. Dieu veut donc que nous ne nous laissions pas aller à nos épreuves, avec tristesse et chagrin, et qu’au contraire, nous les surmontions au plus tôt, en nous maintenant toujours dans une joie inaltérable. »

Cela revient à dire qu’il nous faut vivre en nous-mêmes conformément à ce qui de nous-mêmes peut être immortel, mais elle savait que, dans cette vie, l’impression du nuage qui passe assombrit quelquefois une âme humaine. « Il y a, en effet, deux parties en nous, l’extérieure et l’intérieure. La première, notre enveloppe charnelle et périssable qui est maintenant dans la douleur et l’épreuve, et qui le sera toujours en cette vie. Je la ressentais beaucoup en ce moment ; c’était elle qui se repentait. La seconde qui est une vie élevée et bienheureuse, toute