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interprétées dans le sens panthéiste, elle les corrige par d’autres déclarations. Ce que voit Juliane, ce n’est pas l’opération des créatures, mais l’opération de Dieu dans les créatures, « car il est le point central de tout ; c’est lui qui fait tout. » Il accomplit ses œuvres avec douceur ; « aussi l’âme qui a détourné ses regards des jugemens aveugles de l’homme pour les porter sur les suaves et magnifiques jugemens de Dieu jouit-elle d’un grand repos... Je vis d’une façon très certaine que jamais il ne change ses desseins en quoi que ce soit. Toutes choses ont donc été, même avant d’être faites, établies par lui dans l’ordre qu’elles conserveront pour toujours. » Jésus, dit-elle, semble lui dire : « Vois, je suis Dieu, je suis en tout, je fais tout, je n’ai jamais retiré ma main d’aucune de mes œuvres, et il en sera toujours ainsi. Vois, je conduis chaque chose à la fin que je lui ai assignée de toute éternité, avec la même puissance, la même sagesse, le même amour qu’en la créant. »

Elle regarde son crucifix, elle lit sur le crucifix toutes ces révélations, et, cependant, la plus profonde des douleurs que la terre ait portées ne lui dissimule pas la joie de l’Eternité. Que se passe-t-il dans la pauvre cellule dénudée où cette âme brûle comme un cierge au feu de l’amour divin ? Elle vit sans doute dans le silence et dans l’obscurité cette brûlante épopée intérieure que nous décrira sainte Thérèse ; mais, au lieu de la chanter en toutes ses phases comme la réformatrice du Carmel, la recluse de Norwich nous laisse longuement méditer sur quelques mots condensés en une formule si brève qu’on pourrait l’inscrire au chaton d’une bague : « Ainsi, dit-elle, je voyais Dieu et je le cherchais ; je le possédais et je voulais l’avoir davantage. » Autre aspect de la pensée de Pascal : Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé.

« Cette vision, ajoute Juliane, m’enseigne que la recherche continuelle de l’âme plaît beaucoup à Dieu, car celle-ci ne saurait faire plus que chercher, souffrir et avoir confiance. »

Chercher, selon Juliane, est aussi bon que contempler, tant qu’il plaît à Dieu de laisser l’âme à cet exercice. Le tout, c’est de s’attacher à Dieu en toute confiance. Que Dieu nous dispense la ferveur ou nous laisse dans la sécheresse, c’est, déclare-t-elle, « toujours avec le même amour. » Et « c’est sûrement sa volonté que nous nous efforcions de nous maintenir dans la joie autant que possible. »