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celui de ces recluses qui, se blottissant à l’ombre d’une église, dans leur cellule ou leur maisonnette toute vibrante du son des cloches, ne marcheront plus par les chemins des hommes, afin d’éviter que la poussière du siècle s’attache à leurs pieds nus !

Vêtues de noir ou de blanc, avec leurs livres, leurs servantes, le chat permis par leur directeur, — comme M. de Rancé devait permettre un oiseau à Mme de la Sablière, — elles avaient à consoler des âmes en détresse, car la mission des recluses était une mission de prière et de charité. Ayant renoncé pour elles-mêmes aux peines et aux joies de la vie, elles hospitalisaient dans leur âme les peines et les joies de tous les êtres humains. Peut-être conversaient-elles à travers un rideau, quand elles avaient à recevoir des personnes du dehors. Elles acceptaient de n’être pour leurs frères humains qu’une voix qui console, — cette chose légère, ailée et presque immatérielle : une voix ! — une voix qui console en portant ici-bas des paroles d’en-haut ! N’ayant plus à donner aucun des biens extérieurs, elles donnaient discrètement de leur vie intérieure, de leur âme. Ainsi, des pauvres, l’humanité a reçu ses plus beaux trésors.

Dépouillées de tout ici-bas, comme ornement de leur pauvre cellule, elles conservaient un crucifix.


II

Un siècle après que fut écrit The Ancren Riwle, une autre recluse anglaise, Juliane de Norwich, fixant les yeux et la pensée sur son crucifix, en reçut des enseignemens si sublimes, des révélations si mystérieuses que les âmes de notre temps y cherchent encore une lumière et une consolation.

D’où venait cette Juliane ? Personne, ici-bas, ne le sait ! Elle habitait une cellule bâtie contre l’église de Norwich, de manière à ne perdre aucune note des chants ou des orgues. Il paraît que le « reclusage » de Norwich dépendait d’un prieuré de bénédictines, le prieuré de Carrow, et l’on a songé que Juliane était une moniale de ce couvent, qu’elle avait désiré une vie solitaire, et l’avait obtenue, avec la permission de la prieure. L’église subsiste encore aujourd’hui, — petite église du XIVe siècle, où l’anglicanisme maintient le crucifix, La tour de cette église, beaucoup plus ancienne, remonte peut-être à l’époque saxonne.