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Jeune fille, vous devez comprendre que l’amour de ce monde est rare,
Fragile, sans valeur, faible, décevant ;
Les hommes hardis passent ici-bas comme le vent souffle ;
Sous la terre, ils gisent froids, fauchés comme l’herbe du gazon.


Le poète dépeint la misère et l’instabilité de la vie. De même que Villon s’écrie : « Mais où sont les neiges d’antan ? » Thomas de Haies demande où sont Paris et Hélène, Amadis, Tristan et les autres amoureux célèbres.

Le seul amour qui dure, le seul amour qui vaille est celui du Christ. Le poète chante l’amour du Christ et la beauté de sa maison où n’entrent ni la haine ni l’orgueil, mais où l’on se réjouit avec les anges.


Ce poème, jeune fille, je vous l’envoie, ouvert et non scellé,
Vous demandant de le dérouler, et de l’apprendre tout entier par cœur.
Puis soyez très gracieuse, et enseignez-le fidèlement à d’autres jeunes filles.
Celle qui le saura tout entier s’en trouvera réconfortée.
Si jamais vous êtes assise solitaire, prenez ce petit écrit.
Et chantez-le sur des notes douces…


Le monde où l’on chante cette chanson d’amour est celui où l’on médite la Règle des Recluses. L’époque où elle se chante est le siècle qui vit naître Dante et mourir saint François d’Assise. Dante devait nous dire le poème des fiançailles qui furent conclues entre François d’Assise et la Pauvreté. La suavité, la tendresse, la délicatesse de cet âge ont pénétré dans la chanson mystique de Thomas de Hales, comme dans les vers de Dante, écrits au XIVe siècle, mais encore tout imprégné des influences du XIIIe.

Nous ne connaissons pas ces recluses, mais peu nous importe : elles nous ont introduits dans une Angleterre du Moyen âge que, de leur petite fenêtre grillée, nous avons cru voir un moment revivre.

Leur humble maison doit se blottir à l’ombre d’une église dont les chants parviennent jusqu’à elles. Et le marché, le foyer ne sont peut-être pas loin, où les discordantes voix humaines répètent les discordantes nouvelles qui ne doivent pas troubler la paix harmonieuse de leur âme. Elles lisent l’Écriture, elles méditent, et peut-être il arrive que, pour chasser l’indolence spirituelle, la mélancolie, l’Acedia, l’une d’elles se chante à voix basse le poème de Thomas. Étrange monde que