Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petite maison, et non pas seulement une cellule attenant à l’église, comme celle où plus tard nous rencontrerons Dame Julienne ou Juliane de Norwich. S’entr’aimer, prier, voilà ce qui doit remplir leur vie : prier avec ferveur, prier avec des larmes ! L’auteur, comme ses contemporains Jacopone et Dante, croit de toute son âme à la puissance des larmes. « O larme, chante Jacopone, tu as une grande force avec beaucoup de grâce. » Et Dante nous raconte l’histoire de Manfred dont l’âme fut sauvée pour une petite larme, una lacrimetta.

Dans leur étroite maisonnette, derrière leurs petites fenêtres voilées de doubles rideaux, les recluses ont à cultiver en vertus le champ de leur âme, à soigner, à guérir ces maux spirituels qui peuvent les atteindre jusqu’au fond de leur ermitage. Le jardin des vertus semble être, pour les blessures de l’esprit, ce qu’était, pour les blessures du corps, le jardin des simples au couvent de Sainte-Hildegarde. L’envie se guérit par l’amour, l’orgueil par l’humilité qui renferme la sagesse, l’indolence par la joie spirituelle et par la lecture. Le bon auteur, prévenant ses lectrices contre le mal et leur indiquant les remèdes, leur dépeint certains vices sous la figure d’animaux symboliques que l’on croirait échappés des piliers d’une église voisine.

Il est d’avis qu’il vaut mieux quelquefois moins prier et lire davantage, car la lecture est une prière et saint Jérôme recommande d’avoir toujours un bon livre en main. Personne ne nous dit quelle bibliothèque ces recluses ont à leur disposition, — peut-être celle de leur directeur spirituel ou celle d’un monastère voisin. Elles sont des femmes cultivées pour lesquelles leur conseiller se donne la peine d’orner son texte de belles citations latines ; et son petit livre, qui se répandit à cette époque, fut traduit en français et en latin. Nos recluses elles-mêmes savent le français et le latin, comme elles savent l’anglais, ce qui semble prouver qu’elles ont reçu l’éducation d’un couvent. La prieure de Chaucer aimait, on s’en souvient, à parler français, un français un peu spécial, un peu insulaire, sans doute, bien différent de celui qui résonnait sous le ciel de Touraine et d’Ile-de-France.

La sollicitude de l’auteur s’étend à tous les détails de la vie. Il ne veut pas qu’elles multiplient les vœux et les promesses ; il leur prescrit des jeûnes et des abstinences ; il trouverait mauvais qu’elles invitassent des amies à prendre un repas avec