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Certes ils ne se donneraient pas toute cette peine s’ils croyaient que les pièces ont été disposées au hasard sur l’échiquier. Au contraire, ils sont par avance convaincus qu’il y a une solution au problème, et que par conséquent on peut la découvrir.

De même dans l’étude des lois naturelles. Par avance nous savons que tous les phénomènes physiologiques ont leur utilité, et cette conviction nous permet de persévérer dans notre recherche, car il n’est pas possible qu’un phénomène biologique ne com- porte pas une conséquence utile à la vie de l’être.

Ainsi l’hypothèse de la finalité est aussi féconde dans l’enseignement que dans la conquête de la vérité.

Que demande-t-on à une hypothèse ? C’est d’être rationnelle, simple à enseigner, et ouvrant la voie à des investigations nouvelles. Or, comme l’hypothèse de la finalité a ces trois précieux avantages, les physiologistes doivent continuer à la prendre pour guide.


IX

Ce n’est pas sans quelque épouvante qu’on prononce le mot troublant de finalité, tant ce grandiose concept s’éloigne des hypothèses scientifiques, même les plus hardies. Mais pourquoi, en face de cet effarant problème, ne pas avoir l’audace de notre raison ? De quel droit irions-nous limiter notre pensée à ce qui est tangible et démontrable ? Est-ce que l’univers, malgré toutes les conquêtes de la science, n’est pas resté encore une énigme indéchiffrable ? Nos négations ne sont-elles pas aussi téméraires et aussi injustifiées que nos affirmations ?

Si nous étions conséquens avec nous-mêmes, nous nous réduirions, en fait de généralisations scientifiques, à un absolu néant.

Du vaste monde nous ne savons rien, absolument rien. Tout nous est inconnu. Les faits auxquels nous assistons prennent parfois des apparences de cohésion et de logique qui nous permettent de les formuler en lois. Mais ce n’est que pour nous masquer à nous-même notre ignorance. Quoique chaque découverte agrandisse quelque peu, — oh ! combien peu ! — l’étendue de notre connaissance, chaque nouvelle découverte vient établir avec une force irrésistible que tout est ténèbres et mystères.

Il est admirable que l’homme ait pu imaginer la loi de